L’âme du purgatoire

 

 

BALLADE

 

 

Mon bien-aimé !... dans mes douleurs,

Je viens de la cité des pleurs,

Pour vous demander des prières.

Vous me disiez, penché vers moi :

« Si je vis, je prierai pour toi. »

Voilà vos paroles dernières.

               Hélas ! hélas !

Depuis que j’ai quitté vos bras,

Jamais je n’entends vos prières.

               Hélas ! hélas !

J’écoute, et vous ne priez pas.

 

« Puisse au Lido ton âme errer,

« Disiez-vous, pour me voir pleurer !... »

Elle s’envola sans alarme.

Ami, sur mon froid monument

L’eau du ciel tomba tristement ;

Mais de vos yeux pas une larme.

               Hélas ! hélas !

Ce Dieu, qui me vit dans vos bras,

Que votre douleur le désarme !

               Moi seule, hélas !

Je pleure, et vous ne priez pas.

 

Combien nos doux ravissements,

Ami, me coûtent de tourments !

Au fond de ces tristes demeures

Les jours n’ont ni soir ni matin,

Et l’aiguille y tourne sans fin,

Sans fin, sur un cadran sans heures !

               Hélas ! hélas !

Vers vous, ami, levant les bras,

J’attends en vain dans ces demeures.

               Hélas ! hélas !

J’attends, et vous ne priez pas.

 

Quand mon crime fut consommé,

Un seul regret eût désarmé

Ce Dieu qui me fut si terrible.

Deux fois prête à me repentir,

De la mort, qui veut m’avertir,

Je sentis l’haleine invisible.

               Hélas ! hélas !

Vous étiez heureux dans mes bras,

Me repentir fut impossible.

               Hélas ! hélas !

Je souffre, et vous ne priez pas.

 

Souvenez-vous de la Brenta,

Où la gondole s’arrêta

Pour ne repartir qu’à l’aurore ;

De l’arbre qui nous a cachés,

Des gazons qui se sont penchés,

Quand vous m’avez dit : Je t’adore.

               Hélas ! hélas !

La mort m’y surprit dans vos bras,

Sous vos baisers tremblante encore,

               Hélas ! hélas !

Je brûle, et vous ne priez pas.

 

Rendez-les-moi ; ces frais jasmins,

Où sur un lit fait par vos mains

Ma tête en feu s’est reposée.

Rendez-moi ce lilas en fleurs,

Qui sur nous secouant ses pleurs

Rafraîchit ma bouche embrasée.

               Hélas ! hélas !

Venez m’y porter dans vos bras

Pour que j’y boive la rosée !

               Hélas ! hélas !

J’ai soif, et vous ne priez pas.

 

Dans votre gondole, à son tour,

Une autre vous parle d’amour ;

Mon portrait devait lui déplaire,

Dans les flots son dépit jaloux

A jeté ce doux gage, et vous,

Ami, vous l’avez laissé faire.

               Hélas ! hélas !

Pourquoi vers vous tendre les bras ?

Non, je dois souffrir et me taire.

               Hélas ! hélas !

C’en est fait, vous ne priez pas.

 

Adieu, je ne reviendrai plus

Vous lasser de cris superflus,

Puisque à vos yeux une autre est belle.

Ah ! que ses baisers vous soient doux !

Je suis morte, et souffre pour vous :

Heureux d’aimer, vivez pour elle.

               Hélas ! hélas !

Pensez quelquefois, dans ses bras,

À l’abîme où Dieu me rappelle !

               Hélas ! hélas !

J’y descends, ne m’y suivez pas.

 

 

 

Casimir DELAVIGNE.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques

de l’école romantique, 1879.

 

 

 

 

 

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