L’Angélus du soir
L’air de ce soir est bleu comme un ruisseau d’eau pure ;
Il frémit, en glissant sur les parois du ciel,
Et l’horizon rustique et net qu’il transfigure
Prend l’étrange couleur d’un décor irréel.
Au milieu de ce bleu fluide comme l’onde,
Droit dans la plaine où sont accroupis des hameaux,
Le clocher qu’une paix mystérieuse inonde
Semble un grand nénuphar qui veut sortir des eaux.
Le long des chemins creux noyés de crépuscule
Entre des peupliers et des arbustes flous,
Des files de brebis avec lenteur ondulent,
En faisant sangloter des cloches à leurs cous.
Un char d’herbes s’avance et grince sur la route,
Au pas lourd de ses bœufs meuglant vers l’abreuvoir ;
Et, sur le seuil de sa porte, la vierge écoute
Soupirer dans son cœur la tristesse du soir.
La fumée, en montant languissamment des chaumes,
Est blanche dans l’azur qui brunit peu à peu ;
Et c’est comme un essor d’anges ou de fantômes
Que le jour expirant fait s’envoler à Dieu.
Tout à coup, du clocher, il tombe sur la plaine,
Comme les gouttes d’or d’un astre sur l’étang,
Les trois tintements clairs de la cloche lointaine
Qui sonne l’Angélus et qui prie en tintant.
Cette oraison du bronze a fait frémir l’espace...
Le bouvier s’interrompt de chanter en patois ;
Le vent tombe ; et, devant le mystère qui passe,
Les pigeons n’osent plus roucouler sur les toits.
Près du puits dont les seaux font crier la poulie
Une vieille à bonnet se signe avec ferveur ;
Et, sentant aussitôt sa journée ennoblie,
Fait à la paix du soir l’offrande de son cœur.
Un grand recueillement soudain immobilise
Les hameaux dispersés sous la brume des champs ;
On croirait, dans l’air bleu, qu’ils voguent vers l’église
Du mouvement léger qu’ont les voiliers penchants.
Comme un mystique oiseau, l’Angélus se balance
Et gagne l’horizon où dort un bois obscur :
Puis, quand les derniers sons meurent dans le silence,
Une étoile, en tremblant, apparaît sur l’azur.
André DELACOUR, Le Voyage à l’Étoile.