La forêt vierge

 

 

« Reste, ô ma jeune Américaine,

Sous la feuillée au vaste essor,

Qui de l’Éden contemporaine

N’a point subi d’atteinte encor.

Toute à Dieu, dans ta foi profonde,

Où pourrais-tu l’adorer mieux ?...

La forêt vierge est ton seul monde,

Oui, ton seul monde... avant les cieux !

 

« Oh ! crains pour ta couronne d’ange,

Qu’abritent ces chastes rameaux !

Crains, dans l’exil, l’affreux mélange

De nos plaisirs et de nos maux !

Les cités, où le vice abonde.

Ne sont pas faites pour tes yeux...

La forêt vierge est ton seul monde,

Oui, ton seul monde... avant les cieux !

 

« L’Europe ardente, d’âge en âge,

Ne cesse, hélas ! de s’approcher ;

Recule devant cet orage,

Plutôt que de l’aller chercher.

Prie, enfant, de peur qu’il ne fonde

Sur ces grands bois qui sont si vieux !...

La forêt vierge est ton seul monde,

Oui, ton seul monde... avant les cieux !

 

« Et s’il faut que l’avide flamme

Dévore aussi ton berceau pur,

Fais des vœux pour que ta belle âme

Monte avec elle dans l’azur.

Sous la verdure qui t’inonde,

Vis et meurs reine de ces lieux !

La forêt vierge est ton seul monde,

Oui, ton seul monde... avant les cieux ! »

 

Ainsi parle une voix touchante,

Pour retenir l’enfant des bois,

Et, dans les bois, tout ce qui chante

S’unit en chœur à cette voix ;

L’oiseau, la brise, l’arbre, l’onde,

Ange, ont fait taire tes adieux !...

– La forêt vierge est ton seul monde,

Oui, ton seul monde... avant les cieux !

 

 

 

Prosper DELAMARE.

 

Paru dans La Muse des familles en 1858.

 

 

 

 

 

 

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