Oraison
Notre-Dame de Grâce, ô vétuste patronne
Des pêcheurs et des matelots,
Dame de bois et d’or à la belle couronne
Qui loges au-dessus des flots,
Veuille à jamais bénir, tout au bas de la côte,
Honfleur, ma ville aux deux clochers,
Qui descend jusqu’au bord de la mer basse ou haute
Parmi les grands filets séchés...
Voici les matelots, mousses et débardeurs,
Tous gens de roulis et de houles ;
Et, de même, voici les poissardes, leurs sœurs,
Et celles qui cueillent les moules.
Tout ce peuple salé lève vers toi les yeux,
C’est lui qui te nomme sa reine,
Sainte Vierge de mer, madone un peu sirène,
Toi, son unique merveilleux...
Vois ! leur reconnaissance encombre ta chapelle,
Plaques de marbre, cierges droits,
Et ces barques qu’ils font, longues comme deux doigts,
Joujoux de bois et de ficelle.
Tout cela pour orner tes deux pieds triomphants,
T’arrive du fond des naufrages.
Toute l’immense mer avec ses grandes rages
T’honore en ces cadeaux d’enfants.
C’est pourquoi sois-leur douce, ô Dame maritime !
Garde-leur l’amour puéril
Que tous ils ont pour toi, naïvement intime,
Dans la misère et le péril.
Patronne des marins, l’existence est si dure...
Sois toujours celle d’autrefois,
Et protège, et bénis toujours dans sa verdure
Honfleur, la ville de guingois.
Lucie DELARUE-MARDRUS, Par vents et marées.
Recueilli dans Anthologie critique des poètes normands de 1900 à 1920,
poèmes choisis, introduction, notices et analyses par
Charles-Théophile FÉRET, Raymond POSTAL et divers auteurs,
Paris, Librairie Garnier Frères, 1920.