Vendanges
Midi ! Le soleil frappe en implacable archer
Le coteau dont la terre est partout craquelée.
Les figuiers bordent d’ombre étroite la vallée
Où tous les vendangeurs sont venus la chercher.
L’atmosphère grésille au-dessus de leurs groupes
Que la guêpe et l’abeille agacent dans leur vol ;
Les vêtements terreux ont la couleur du sol
Qui semble bosselé de ventres et de croupes.
Seul éveillé, d’un pas lourd et mal assoupli,
Le maître vigneron inspecte encor sa vigne
Et – contre la clôture où leur file s’aligne –
Ses chariots trapus que le raisin emplit.
Sous la chaleur qui la dilate et l’exaspère,
Il en monte une odeur qui vous porte au cerveau ;
On dirait la nature ivre de vin nouveau
Et son effluve épars dans l’ardente atmosphère.
L’ivresse qu’il exhale a gagné l’horizon ;
L’espace la respire et l’azur en frissonne ;
Et, le long de la route où n’apparaît personne,
Bouleaux et peupliers vacillent sans raison.
Le sein d’un vendangeur que l’effluve traverse,
Parfois d’un long soupir se soulève à demi ;
Et, comme Zeus jadis, sur un flanc endormi
Le soleil fait tomber sa lumineuse averse.
Gisante sur le sol, la chair en son sommeil
Reconnaît le limon dont elle fut formée,
Et se sait, – quoique Dieu l’ait d’un souffle animée, –
Captive de la glèbe et mûrie au soleil.
Filles et gars, prostrés dans la poussière jaune,
Plus moelleuse à leurs corps que l’herbe du chemin,
Sentent, en tressaillant, sur la lèvre ou la main,
Les cheveux de la Nymphe et l’haleine du Faune.
Chaque odeur est humaine et chaque bruit vivant ;
Midi lâche du ciel ses voluptés farouches ;
Surgis de chaque cep, des mufles et des bouches
En quête de baisers maraudent dans le vent.
Le ciel s’approfondit, l’air prend des teintes d’ambre ;
On dirait du soleil qui se transforme en vin ;
Et la nature et l’homme atteignent au divin
Dans la splendeur d’un jour de vendange, en septembre...
André DELACOUR, Les Saisons et les Jours.