La vigne et ses branches

 

 

                                  Je suis la vigne et vous les branches ;

                                  quiconque demeure en moi et moi en lui

                                  porte beaucoup de fruits ; car sans moi

                                                               vous ne pouvez rien.

 

                                                                   Saint-Jean (XV, 5)

 

 

Puissé-je, aux jours d’automne, être comme la vigne

Qui mûrit ses raisins, ce soir, sur le coteau,

Chargé de fruits gonflés par le soleil, et digne

Du Vendangeur Divin qui peut venir bientôt.

 

L’air est calme et serein : pas un arbre ne bouge.

Le ciel couchant se creuse en un golfe sans bord.

Déjà sur le sarment la feuille devient rouge ;

La grappe sous la feuille a pris ses teintes d’or.

 

Le paysage entier, dans la lueur vermeille

De l’astre incandescent qui glisse sous le ciel,

Semble, coteaux et val, une immense corbeille

Pleine de pains dorés, de gâteaux et de miel.

 

Dans la tiède atmosphère un arôme voltige,

Émouvant et subtil comme un désir humain ;

Et la bergère, en proie à son léger vertige,

Vient en chantant dans la lumière du chemin.

 

Dessinant sur l’azur leurs gestes lents et nobles,

Et riches de ce jour passé dans le labeur,

Les quelques vignerons, épars dans les vignobles,

Au jugement du soir peuvent aller sans peur.

 

Or, si vous paraissiez tout à coup dans les flammes

Que le soleil allume aux cimes des coteaux,

Seigneur ! vous trouveriez ces vignes et ces âmes

Prêtes à vous offrir leurs fruits et leurs travaux.

 

Vous n’auriez qu’à passer dans votre robe blanche

Entre les ceps noueux, devant les fronts penchés,

Pour cueillir le raisin qui pend à chaque branche

Et prendre en chaque cœur ses mérites cachés.

 

Mais quand venu chez-moi, vous y seriez mon hôte,

Qu’aurais-je à vous offrir que mon seul dénuement

Et mon désir fervent, malgré faute sur faute,

De m’attacher à vous, comme au cep le sarment ?

 

Car ce désir qui fut le feu de ma nuit noire

D’un plus riche présent tiendrait peut-être lieu,

Et vous consentiriez à me bénir, de croire

Que l’homme n’est pas fait pour l’homme, mais pour Dieu.

 

 

André DELACOUR.

 

Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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