Un cri nouveau
Un cri monte du monde : un cri nouveau parmi les vieux cris humains.
Il éveille des scandales, des inquiétudes, des compassions.
On le couvre avec des paillons de papier.
On l’amplifie avec des haut-parleurs.
On dit que c’est une mort ou une naissance.
Des mots de toutes langues le traduisent.
Des chants passionnés le prolongent.
De gros rires l’accompagnent.
Des romances sentimentales se mêlent à lui.
À l’intérieur de ses frontières sociales, dans sa patrie universelle le peuple du travail crie.
On ne le comprend pas, si l’on veut traduire ce qui demeure en lui d’intraduisible.
On ne le comprend pas, si l’on ne traduit pas ce qui, en lui, peut être traduit.
Il vient d’un fond de ténèbres, il traverse des pénombres, il éclate dans le soleil.
Qui crie ?
On nous répond : la « classe ouvrière », le « prolétariat », la « masse ».
Nous cherchons l’homme qui crie.
On nous désigne une idée générale.
Les idées ne crient pas.
Ces notes vont à la recherche de cet homme.
Elles voudraient crever les idées générales, retrouver les poitrines et les bouches dont vient le cri.
De ce qui se voit et ce qui se touche, elles voudraient pénétrer dans ce qui se comprend ou ce qui se pressent.
Elles voudraient avoir l’humilité de s’arrêter devant ce qui demeure inconnaissable.
Leur but est de susciter une réponse à ce cri, la réponse de cœurs arrachés à leurs habitudes tranquilles ;
Nous le savons, l’humanité ne vivra jamais sans crier ; des cris anciens comme elle-même accompagnent ce qui est en elle perpétuel et ce qui en elle est germination, développement, disparition.
Le cri de la mort et le cri de l’amour ne cesseront jamais. Mais nous savons aussi qu’il est des cris guérissables, des cris dont sont responsables nos actes et nos passivités.
Ce cri nouveau est-il de ceux dont on guérit ?
On crie dans la nuit : pouvons-nous dormir ?
Madeleine DELBRÊL.
Paru dans Paroles pour Marie,
textes recueillis par Michel Dubost,
Droguet-Ardant, 1978.