Les zéros et l’infini

 

 

 

On ne peut croire à la fois au hasard et à la Providence. Nous croyons à la Providence. Nous vivons comme si nous croyions au hasard. De là viennent les incohérences de notre vie ; ses mauvaises agitations et ses mauvaises passivités.

Nous subissons ce que nous n’avons pas choisi... ce sont nos zéros : zéro du métier imposé, des camarades obligatoires, de la clientèle anonyme, des visites professionnelles. Zéro ! Zéro ! Zéro !

À d’autres circonstances, à d’autres rencontres, à d’autres devoirs, nous attribuons les coefficients 2, 5, 7, de volonté divine. Nous y concentrons le meilleur de nos énergies comme si notre vie commençait là.

Et c’est pourtant, chaque matin, notre journée tout entière que nous recevons des mains de Dieu. Dieu nous donne une journée préparée pour nous, par lui. Il n’y a rien de trop et rien de « pas assez », rien d’indifférent et rien d’inutile. C’est un chef-d’œuvre de journée qu’il vient nous demander de vivre. Nous, nous la regardons comme une feuille d’agenda, marquée d’un chiffre et d’un mois. Nous la traitons à la légère, comme une feuille de papier... Si nous pouvions fouiller le monde et voir depuis le fond des siècles cette journée s’élaborer, se composer, nous comprendrions le poids d’une seule journée humaine.

Et si nous avions un peu la foi, nous aurions envie de nous agenouiller devant notre journée chrétienne.

Nous sommes « chargés » d’énergie sans proportions avec les mesures du monde : la foi qui culbute les montagnes, l’espérance qui nie l’impossible, la charité qui fait flamber la terre.

Chaque minute de la journée, qu’elle nous veuille n’importe où pour y faire n’importe quoi, permet au Christ de vivre en nous parmi les hommes.

Alors, il n’est plus question de chiffrer l’efficacité de notre temps.

Nos zéros multiplient l’infini.

Nous prenons humblement la taille de la volonté de Dieu.

 

 

Madeleine DELBRÊL,

La joie de croire, Seuil, 1968.

 

 

 

 

 

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