Détresse

 

 

                           I

 

De grâce renvoyez ces femmes,

Écartez ces musiciens…

Que me font tous vos jeux, infâmes ?

Ces plaisirs ne me sont plus rien.

 

Et maintenant fermez la porte,

Poussez la barre, le loquet…

– Oh ! ces voix que la nuit m’apporte

Avec les échos du banquet !

 

Oh ! cette clarté qui se glisse

Par les fentes !... Il fait trop clair,

Toujours trop clair pour que je puisse

Oublier ce que j’ai souffert.

 

Discords du lit et de la table,

Bras désunis, baiser défait,

Où trouverai-je un habitacle

Après le mal que l’on m’a fait ?

 

– N’en demandez pas plus. L’histoire

Passe la norme en cruauté.

Je voudrais perdre la mémoire.

Je voudrais n’avoir pas été.

 

 

                           II

 

              Je ne vivais que pour l’amour, et ton refroidissement

           m’a détruit.

                                                                   SAINT AUGUSTIN.

 

 

Ô Dieu qui m’as foulé, et pour quelle vendange,

Ne laissant rien de moi que ce débris fumant,

Ne m’enverras-tu pas la visite de l’Ange

Que du tombeau des nuits tire un soleil levant ?

 

                                     *

 

Lévite, et dénombré entre les plus candides.

Mon enfance a grandi parmi tes saints parvis :

Ma bouche alors s’ouvrait sur tes hymnes splendides,

Mes yeux restent béants des splendeurs que je vis.

 

                                     *

 

Rappelle-toi ces jours où, prenant place à table,

Insoucieux de l’an, du mois, de la saison,

Convive habitué du banquet délectable,

J’étais comme un enfant dans ta propre maison.

 

                                     *

 

Ah ! si, faisant alors l’élection suprême,

Tu m’avais appelé dans le clan des pasteurs,

Joyeusement soumis à tes desseins que j’aime,

Je serais demeuré parmi tes serviteurs.

 

                                     *

 

Ma vie humble eût coulé, silencieuse et lisse,

Entre les buis égaux d’un pieux jardinet.

Chaque âge eût resserré les nœuds de mon cilice.

Je serais mort un soir que l’Angélus sonnait.

 

                                     *

 

Mais tu n’as pas parlé ou tu m’as dit de vivre.

Bien plus, tu m’as tendu, et même en souriant,

Cette coupe d’amour dont la senteur enivre,

Qui faisait délirer les rois de l’Orient.

 

                                     *

 

Puis un jour, brusquement, au milieu de ma course,

J’ai senti que ta main de moi se retirait.

Le fleuve révulsé remontait vers sa source.

Le chasseur noir m’avait saisi dans son filet.

 

                                     *

 

Et je viens aujourd’hui, convive sans couronne,

Promener dans ces champs où mon pas fut heureux

La détresse d’un cœur que l’amour abandonne,

Le vide d’un esprit qui fut aventureux.

 

                                     *

 

Rien, je ne garde rien de ma pauvre entreprise ;

Et sur le bord des eaux je contemple en pleurant

Quatre cailloux noircis parmi la cendre grise…

– Ce qu’abandonne sur ses pas le Juif errant.

 

                                     *

 

Ô Dieu qui m’as foulé et pour quelle vendange !

Ne laissant rien de moi que ce débris fumant,

Rends-moi, rends-moi l’espoir, ou reprends sans échange

Les restes d’une vie où plus rien n’est vivant.

 

 

 

Henry DÉRIEUX.

 

Paru dans le Mercure de France

en octobre 1934.

 

 

 

 

 

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