In Memoriam
Vers dits sur la tombe de Lusignan.
C’EST ici l’endroit où le fossoyeur,
De l’éternité sombre pourvoyeur,
A mis sa dépouille,
Où le vent qui meurt au pied des cyprès
Tisse le velours d’un gramen épais
Pour qu’on s’agenouille ;
L’endroit où nos cœurs se sont souvenus
Que s’il faut la laine à ceux qui sont nus,
Aux oiseaux les arbres,
Aux blés les rayons, à l’air les parfums,
Il nous faut aussi donner aux défunts
Des fleurs et des marbres.
Et nous lui donnons les deux aujourd’hui,
Pour que si jamais il sent de l’ennui
La ronce vivace,
Ces fleurs aux tons blancs lui parlent de nous,
Ce marbre sacré, de nos deux genoux
Lui garde la trace.
Amis, s’il est vrai que nos oraisons
Ouvrent les cercueils sur des horizons
D’amours éternels,
Et portent vers des champs d’azur et d’or
Les âmes, dans leur lumineux essor,
Au bout de leurs ailes ;
Que ces oraisons sont comme un flambeau
Qui filtre à travers les ais du tombeau
Ses lueurs plus douces
Que les blonds reflets tombés des bois lourds,
Quand l’aube vermeille, aux levers des jours,
S’épand sur les mousses ;
Mêlons notre voix à l’essaim léger
Des prières qui viennent voltiger
Au-dessus des tombes
Et prêtent aux morts, du monde bannis,
Pour escalader les cieux infinis,
Le vol des colombes.
Gonzalve DESAULNIERS,
Les bois qui chantent, 1930.