Dormeuse

 

 

Si l’enfant sommeille,

Il verra l’abeille,

Quand elle aura fait son miel,

Danser entre terre et ciel.

 

Si l’enfant repose,

Un ange tout rose

Que la nuit seule on peut voir,

Viendra lui dire : « Bonsoir ! »

 

Si l’enfant est sage,

Sur son doux visage

La Vierge se penchera,

Et longtemps lui parlera.

 

Si mon enfant m’aime,

Dieu dira lui-même :

« J’aime cet enfant qui dort :

Qu’on lui porte un rêve d’or !

 

« Fermez ses paupières,

Et sur ses prières,

De mes jardins, pleins de fleurs,

Faîtes glisser les couleurs.

 

« Ourlez-lui des langes

Avec vos doigts d’anges,

Et laissez sur son chevet

Pleuvoir votre blanc duvet.

 

« Mettez-lui des ailes

Comme aux tourterelles,

Pour venir dans mon soleil

Danser jusqu’à son réveil !

 

« Qu’il fasse un voyage

Aux bras d’un nuage,

Et laissez-le, s’il lui plaît,

Boire à mes ruisseaux de lait !

 

« Donnez-lui la chambre

De perles et d’ambre,

Et qu’il partage en dormant

Nos gâteaux de diamant !

 

« Brodez-lui des voiles

Avec mes étoiles,

Pour qu’il navigue en bateau

Sur mon lac d’azur et d’eau !

 

« Que la lune éclaire

L’eau pour lui plus claire,

Et qu’il prenne au lac changeant

Mes plus fins poissons d’argent !

 

« Mais je veux qu’il dorme

Et qu’il se conforme

Au silence des oiseaux

Dans leurs maisons de roseaux !

 

« Car si l’enfant pleure,

On entendra l’heure

Tinter partout qu’un enfant

À fait ce que Dieu défend !

 

« L’écho de la rue

Au bruit accourue,

Quand l’heure aura soupiré,

Dira : « L’enfant a pleuré ! »

 

« Et sa tendre mère,

Dans sa nuit amère,

Pour son ingrat nourrisson,

Ne saura plus de chanson !

 

« S’il brame, s’il crie,

Par l’aube en furie

Ce cher agneau révolté

Sera peut-être emporté !

 

« Un si petit être,

Par le toit, peut-être,

Tout en criant, s’en ira.

Et jamais ne reviendra !

 

« Qu’il rôde en ce monde,

Sans qu’on lui réponde !

Jamais l’enfant que je dis,

Ne verra mon paradis !

 

« Oui ! mais s’il est sage,

Sur son doux visage

La Vierge se penchera,

Et longtemps lui parlera ».

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Recueilli dans Poètes de la famille du XVIe au XIXe siècle, Casterman, s. d.

 

 

 

 

 

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