Ma fille

 

 

Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre,

Mobile comme l’eau qui t’a donné son nom,

Es-tu d’un séraphin le miroir solitaire ?

Sous ta grâce mortelle orne-t-il ma maison ?

 

Quand je t’y vois glisser dansante et gracieuse,

Je sens flotter mon âme errante autour de toi,

Je me regarde vivre, ombre silencieuse !

Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi !

 

Car toujours ramenés vers nos jeunes annales,

Nous retrempons nos yeux dans leurs fraîches couleurs ;

Midi n’a plus le goût des heures matinales

Où l’on a respiré tant de sauvages fleurs !

 

Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre,

Furent les blés bordant la maison de mon père,

Où je dansais volage, en poursuivant du cœur

Un rêve qui criait : « Bonheur ! bonheur ! bonheur ! »

 

C’est toi ! Mes yeux, blessés par le temps et les larmes,

Redevenus miroirs, se rallument d’amour !

N’es-tu pas tout ce monde infini, plein de charmes,

Que j’encerclais d’espoir, en essayant le jour ?

 

Viens donc, ma vie enfant ! et si tu la prolonges,

Ondine ! aux mêmes flots ne l’abandonne pas.

Que les ruisseaux, les bois, les fleurs où tu te plonges,

Gardent leur fraîche amorce au penchant de tes pas !

 

Viens ! mon âme sur toi pleure et se désaltère.

Ma fille, ils m’ont fait mal !... Mets tes mains sur mes yeux,

Montre-moi l’espérance et cache-moi la terre ;

Ange ! retiens mon vol, ou suis-moi dans les cieux...

 

Garde en ton cœur l’écho de ma voix maternelle :

Dieu qui t’écoute encore ainsi m’écoutera.

Ô ma blanche colombe ! entr’ouvre-moi ton aile ;

Mon cœur a fait le tien et s’y renfermera ;

Car ce serait affreux et pitié de t’apprendre,

Quand tu baises mes pleurs, ce qui les fait couler :

Ce qu’une larme pèse et coûte à révéler !...

 

Que tes cheveux sont doux ! Étends-les sur mes larmes,

Comme un voile doré sur un noir souvenir,

Embrassons-nous !... Sais-tu qu’il reste bien des charmes

À ce monde pour moi plein de ton avenir ?

Et le monde est en nous : demeure avec toi-même !

L’oiseau pour ses concerts goûte un sauvage lieu.

L’innocence a partout un confident qui l’aime ;

Oh ! ne livre ta voix qu’à cet écho : c’est Dieu !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Recueilli dans Poètes de la famille du XVIe au XIXe siècle, Casterman, s. d.

 

 

 

 

 

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