La vieille indigente

 

 

Toi que l’on plaint, toi que j’envie,

Pauvre errante de nos hameaux,

Toi dont ces bois aux vieux rameaux

N’ont pas vu commencer la vie ;

Toi qui n’attends plus des mortels

Ni ton bonheur ni ta souffrance,

Dont l’humble et dernière espérance

S’incline aux rustiques autels ;

Toi que dans le fond des chaumières

On appelle avant de mourir

Pour aider une âme à souffrir,

Par ton exemple et tes prières :

 

Oh ! donne-moi tes cheveux blancs,

Ta marche pesante et courbée,

Ta mémoire enfin absorbée,

Qui dort comme tes pas tremblants ;

Tes yeux sans lumière et sans larmes,

Assoupis sous les doigts du temps,

Miroir terni pour tous les charmes,

Et pour tous les feux du printemps.

Ce souffle qui t’anime à peine,

Ce reste incertain de chaleur,

Et qui s’éteint de veine en veine,

Comme il est éteint dans ton cœur !

 

Prends ma jeunesse et ses orages,

Mes cheveux touffus et flottants ;

Prends mes vœux que l’on croit contents,

Ces doux et frivoles suffrages

Que ne goûtent plus mes douleurs ;

Ce triste éclat qui m’environne,

Et cette fragile couronne

Que l’on jette en vain sur mes pleurs.

 

En me trouvant froide et calmée,

Ce soir, à ton feu de ramée,

Que le temps m’accepte pour toi !

Qu’il éteigne alors sous son aile

Une image ardente et cruelle

Qui brûle et s’attache sur moi.

 

Et demain ces molles verdures,

Ces frais bruissements des bois,

Ne peindront plus dans leurs murmures

Les accents d’une seule voix !

Car dès longtemps à ton oreille,

Que rien n’émeut, que rien n’éveille,

Le souvenir n’a point d’échos ;

L’ombre du soir point de féerie,

Et les ruisseaux de la prairie

Ne sont pour toi que des ruisseaux.

Changeons d’âme et de destinée ;

Prends, pour ton avenir d’un jour,

Ma jeune saison condamnée

Au désespoir d’un long amour !

 

Mais tu regagnes sans m’entendre,

Le sentier qui mène au vallon ;

Insensible aux cris d’un cœur tendre,

Comme aux soupirs de l’aquilon.

Suis ta route, pauvre bergère,

En glanant l’aride fougère,

Debout encor sous ton fardeau,

Sans craindre une voix importune,

Bientôt ta paisible infortune,

Cheminera sur mon tombeau.

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

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