Une nuit de mon âme

 

 

Par un rêve dont la flamme

Éclairait mes yeux fermés,

La nuit emporta mon âme

Où dorment nos morts aimés.

Sous ma fervente lumière

Le sol tressaille et se fend,

Et je ressaisis ma mère

Qui renaît pour son enfant !

 

« Tu viens donc ! » dit la chère ombre

Dont la voix m’ouvre le cœur ;

« Tu sais donc qu’en ce lieu sombre

Tout spectre attend le bonheur !

Viens, ne crains pas leur silence

Ni leurs yeux ouverts sans voir :

Le sommeil qui les balance

N’a de vivant que l’espoir.

 

« L’espoir, ô ma bien-aimée,

Sève qui remonte à Dieu,

Vigne errante et parfumée

Qui fleurit même en ce lieu ;

L’espoir, cette étreinte immense

Qui joint tous les univers,

Ne sens-tu pas qu’il commence

D’unir au moins nos revers ?

 

« Comme aux chaleurs d’une serre

L’homme fait germer ses fleurs,

Le trépas qui nous enserre

Ici fait germer nos cœurs.

À travers le dernier voile

Tendu sur l’autre avenir,

Nous voyons la double étoile

De l’aube et du souvenir.

 

« Que de sources éternelles

Dans ces lointains toujours beaux !

Que d’arbres aux fleurs nouvelles

Sur ces routes sans tombeaux !

Vois ! que d’immortelles vies

Te recevront avec moi !

Vois ! que de mères suivies

D’enfants aimés comme toi !

 

« Sous une forme reprise

Et qui nous ressemblera,

Avec un cri de surprise

Chacun se reconnaîtra.

« Quoi, c’est lui ! c’est toi ! c’est elle ! »

Retentira de partout,

Et l’on proclamera belle

La mort vivante et debout !

 

« Jette donc loin tes colères

Contre d’innocents ingrats ;

Le flambeau dont tu t’éclaires

Te voit si tendre en mes bras !

Cesse d’essayer la haine,

Faite pour la mépriser :

C’est perdre à river ta chaîne

La force de la briser.

 

« Adieu, fille de mes larmes,

Revue à force d’amour !

Quand le temps rompra ses armes,

Tu me suivras au grand jour.

À ton épreuve asservie,

Va plaindre les plus souffrants,

Et pour gagner l’autre vie

Retourne avec les mourants. »

 

L’ombre alors pressa ma lèvre

D’un baiser lent et profond,

Qui d’une indicible fièvre

Fait encor battre mon front.

Montez, mon humble courage,

Sous les insultes du sort :

J’irai plus haut que l’orage

Dans les ailes de la mort !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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