Un pauvre


Enfant ! sois doux au pauvre. Il en est d’adorables ;
Il en est de puissants sous leurs traits misérables :
Tel est celui qui monte attiré par ta voix,
Qui descend toujours humble et content quelquefois,
Selon nos jours à nous, vides, nourris d’attente,
Ou comblés de travail et de joie haletante.
Dieu lui fait, m’a-t-il dit, de longues nuits sans peur ;
Et sous un peu de paille il a chaud dans son coeur !
Le sommeil a pour lui des ailes toutes prêtes ;
C’est là qu’il illumine et qu’il donne ses fêtes ;
Là, qu’un ange vient dire à ce pauvre à genoux :
« Debout ! debout, mon frère ! et montez avec nous !
Laissez-moi relever votre âme voyageuse ;
Laver vos pieds durcis par l’argile fangeuse,
Rendre vos pas légers puisqu’ils sont sans remord,
Et délier vos bras pour les tendre à la mort !
Ayez foi dans la mort : cette cueilleuse d’âmes,
Ne les moissonne pas pour en tuer les flammes ;
Mais pour les délivrer de leur lourd vêtement,
Comme on ôte le sable où dort le diamant.
            Dans votre épreuve solitaire,
            Ne demandez pas le bonheur :
            Sa semence est dans votre cœur ;
            Il n’éclora pas sur la terre.
            Si la terre en poussait les fleurs,
            Voyez qu’elles n’ont qu’une aurore,
            Et qu’elles laisseraient encore
            Leurs épines dans vos douleurs.
            Mais ce fruit couvé par votre âme,
            Naîtra plus haut mûr et vermeil,
            Fait d’une impérissable flamme,
            Comme un rubis sous le soleil.
            Le bonheur, c’est l’amour sans larmes ;
            C’est la liberté sans effroi ;
            Sans prisons, sans haine, sans armes,
            Et les mondes roulants sans roi.
Bénissez donc vos pleurs dont l’intérêt s’amasse.
Dieu compte avec la terre ; où l’ombre règne, il passe !
Et l’éternité s’ouvre aux mots :
PARDON ! AMOUR !
« Montez ! » – Et l’indigent monte à Dieu jusqu’au jour !
Quand ce beau rêve a fui, quand la faim le réveille.
S’il tombe en soupirant du ciel où l’on sommeille,
Il reprend son fardeau plus léger ; lui plus fort,
Et gravit, patient, les affronts de son sort.
Ce pauvre est plus qu’un pauvre ! Une telle indigence,
Puisque Dieu la permet, ouvre l’intelligence :
Dieu voilé parle en lui. Souvent ses vieux lambeaux
M’ont paru lumineux, comme si de flambeaux,
Comme si des rayons d’une auréole sainte,
Sa tête blanchissante et paisible était ceinte :
Ce pauvre est plus qu’un pauvre ! Enfant ! sois doux pour lui,
Comme tu fus hier, s’il revient aujourd’hui.



Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

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