Le soir d’été

 

 

Venez, mes chers petits ; venez, mes jeunes âmes ;

Sur mes genoux, venez tous les deux vous asseoir ;

Au soleil qui se couche il faut dire bonsoir :

Voyez comme il est beau dans ses mourantes flammes,

Sa couronne déjà n’a plus qu’un rayon d’or :

Demain, plus radieux vous le verrez encor ;

Car on ne l’a point vu s’enfuir sous un nuage :

La cigale a chanté ; nous n’aurons point d’orage.

Ce soleil mûrira les fruits que vous aimez ;

Il vous rendra vos jeux, vos bouquets parfumés.

Dès qu’il s’éveillera, je vous dirai moi-même :

Allons voir le soleil. Jugez si je vous aime !

          Les charmantes heures viendront

          Danser autour de la journée,

          Et riantes s’envoleront,

Formant avec des fleurs la trame de l’année.

Et vous appellerez le faible agneau qui dort ;

Pour le baigner ce soir il n’est pas assez fort ;

Huit jours font tout son âge ; il se soutient à peine,

Et vous le fatiguez à courir dans la plaine.

Venez, il en est temps, vous baigner au ruisseau ;

Tout semble se pencher vers son cristal humide :

Le moucheron brûlant y pose un pied timide ;

Et, fatigué du jour, le flexible arbrisseau

Y trace de son front la fugitive empreinte ;

À ses flots attiédis confiez-vous sans crainte ;

Je suis là. Voyez-vous ces poissons innocents ?

Ne les effrayez pas ; ils s’enfuiront d’eux-mêmes :

De vos jeunes désirs on dirait les emblèmes ;

Sans les troubler encore ils glissent sur vos sens.

Saluez, mes amours, cette vieille bergère :

Son sourire aux enfants donne une nuit légère.

Quoi ! vous voulez courir, pauvres petits mouillés ?

Ce papillon tardif, que la fraîcheur attire,

Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés,

Et, tout en vous bravant, je crois l’entendre rire.

C’est assez le poursuivre et lui jeter des fleurs,

Enfants ; vos cris de joie éveillent la colombe :

Un roseau qui s’incline, une feuille qui tombe,

Rompt le charme léger qui suspend les douleurs.

Écoutez dans son nid s’agiter l’hirondelle :

Tout lui semble un danger ; car elle a des petits.

Peut-être elle a rêvé qu’ils étaient tous partis ;

La voilà qui se calme ; elle les sent près d’elle !

Mais la lune se lève, et pâlit mes crayons :

Ne bravez pas dans l’eau ses humides rayons ;

Les pavots vont pleuvoir sur sa lente carrière.

Au ciel, qui donne tout, offrez votre prière ;

Elle est pure et charmante, et vous la dites bien.

La voix est faible encore ; mais c’est Dieu qui l’écoute !

Un faible accent vers lui sait trouver une route ;

Il entend un soupir ; il ne dédaigne rien.

Et maintenant dormez. Leurs mains entrelacées

Semblent lier encor leurs naïves pensées.

Hélas ! ces cœurs aimants qu’elles viennent d’unir,

Ne les séparez pas, mon Dieu, dans l’avenir !

Ils dorment. Qu’ils sont beaux ! Que leur mère est heureuse !

Dieu n’a pas oublié ma plainte douloureuse ;

Sa pitié m’écouta. Tout ce que j’ai perdu,

Sa pitié, je le sens, me l’a presque rendu !

Sommeil ! ange invisible, aux ailes caressantes,

Verse sur mes enfants tes fleurs assoupissantes ;

Que ton baiser de miel enveloppe leurs yeux ;

Que ton vague miroir réfléchisse leurs jeux ;

Au pied de ce berceau, que mon amour balance,

Fais asseoir avec toi l’immobile silence.

Ma prière est sans voix ; mais elle brûle encor.

Dieu ! bénissez ma nuit ; Dieu ! gardez mon trésor !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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