Renoncement
Pardonnez-moi, Seigneur, mon visage attristé,
Vous qui l’aviez formé de sourire et de charmes ;
Mais sous le front joyeux vous aviez mis les larmes,
Et de vos dons, Seigneur, ce don seul m’est resté.
C’est le moins envié, c’est le meilleur peut-être.
Je n’ai plus à mourir à mes liens de fleurs ;
Ils vous sont tous rendus, cher auteur de mon être,
Et je n’ai plus à moi que le sel de mes pleurs.
Les fleurs sont pour l’enfant ; le sel est pour la femme ;
Faites-en l’innocence et trempez-y mes jours,
Seigneur ! quand tout ce sel aura lavé mon âme,
Vous me rendrez un cœur pour vous aimer toujours !
Tous mes étonnements sont finis sur la terre,
Tous mes adieux sont faits, l’âme est prête à jaillir
Pour atteindre à ses fruits protégés de mystère
Que la pudique mort a seule osé cueillir.
Ô Sauveur ! soyez tendre au moins à d’autres mères,
Par amour pour la vôtre et par pitié pour nous !
Baptisez leurs enfants de nos larmes amères,
Et relevez les miens tombés à vos genoux !
Marceline DESBORDES-VALMORE.
Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique
de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée
par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.