Rêve d’une femme
Veux-tu recommencer la vie ?
Femme, dont le front va pâlir,
Veux-tu l’enfance, encor suivie
D’anges enfants pour l’embellir ?
Veux-tu les baisers de ta mère,
Échauffant tes jours au berceau ?
– Quoi ! mon doux Éden éphémère ?
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !
Sous la paternelle puissance,
Veux-tu reprendre un calme essor,
Et dans des parfums d’innocence
Laisser épanouir ton sort ?
Veux-tu remonter le bel âge,
L’aile au vent comme un jeune oiseau ?
– Pourvu qu’il dure davantage.
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !
Veux-tu rapprendre l’ignorance,
Dans un livre à peine entr’ouvert :
Veux-tu la plus vierge espérance,
Oublieuse aussi de l’hiver ?
Tes frais chemins et tes colombes.
Les veux-tu jeunes comme toi ?
– Si mes chemins n’ont plus de tombes,
Oh ! oui, mon Dieu ! rendez-les-moi !
Reprends donc de ta destinée
L’encens, la musique, les fleurs ;
Et reviens, d’année en année,
Au jour où tout éclate en pleurs !
Va retrouver l’amour, le même !
Lampe orageuse, allume-toi !
– Retourner au monde où l’on aime...
Ô mon Sauveur, éteignez-moi !
Marceline DESBORDES-VALMORE.
Recueilli dans Femmes-poètes de la France,
anthologie par H. Blanvalet, 1856.