Le rossignol aveugle

 

 

Pauvre exilé de l’air ! sans ailes, sans lumière,

Oh ! comme on t’a fait malheureux !

Quelle ombre impénétrable inonde ta paupière !

Quel deuil est étendu sur tes chants douloureux !

Innocent Bélisaire ! une empreinte brûlante

Du jour sur ta prunelle a séché les couleurs ;

Et ta mémoire y roule incessamment des pleurs ;

Et tu ne sais pourquoi Dieu fait la nuit si lente !

Et Dieu nous verse encor la nuit égale au jour.

Non ! ta nuit sans rayons n’est pas son triste ouvrage ;

Il ouvrit tout un ciel à ton vol plein d’amour ;

        Et ton vol mutilé l’outrage !

 

Par lui ton cœur éteint s’illumine d’espoir ;

Un éclair qu’il allume à ton horizon noir

Te fait rêver de l’aube, ou des étoiles blanches,

Ou d’un reflet de l’eau qui glisse entre les branches

        Des bois que tu ne peux plus voir.

 

Et tu chantes les bois, puisque tu vis encore ;

Tu chantes : pour l’oiseau respirer, c’est chanter.

Mais quoi ! pour moduler l’ennui qui te dévore,

Sous le voile vivant qui t’usurpe l’aurore,

Combien d’autres accents te faut-il inventer !

 

Un cœur d’oiseau sait-il tant de notes plaintives ?

Ah ! quand la liberté soufflait dans tes chansons,

Qu’avec ravissement tes ailes incaptives

Dans l’azur sans barrière emportaient ses leçons !

 

Douce horloge du soir aux saules suspendue,

Ton timbre jetait l’heure aux pâtres dispersés !

Mais le timbre égaré dans ta clarté perdue

Sonne toujours minuit sur tes chants oppressés :

Tes chants n’éveillent plus la pâle primevère,

Qui meurt sans recevoir les baisers du soleil,

Ni le bluet fermé sous le doigt du sommeil,

Qui se rouvre baigné d’une rosée amère.

Tu ne sais plus quel astre éclaire tes instants !

Tu bois, sans les compter, tes heures de souffrance !

        Car la veille sans espérance

        Ne sent pas la fuite du temps !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

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