Le dernier jour du carnaval

 

À ROME

 

 

Le jour des moccoli, lorsque Rome la Sainte

Laisse errer la folie en sa bruyante enceinte,

Ceux de Castel-Gandolfe et ceux de Tivoli,

Portant la lourde boucle en argent mal poli ;

Les filles de Nettune, au corset d’écarlate,

Ornant de médaillons leur sein où l’or éclate,

Et dans un réseau vert enfermant leurs cheveux ;

Et celles de Lorette où l’on fait tant de vœux ;

Celles de Frascati, dont les beaux yeux sans voile

Brillent, sous le panno, comme une double étoile ;

Hommes, femmes, enfants, s’avancent d’un pas lent

Vers la nocturne fête et le Corso brûlant.

 

Alors le ciel s’embrase, et la flamme agrandie

S’étend le long des toits comme un vaste incendie,

Et les moccoletti courent de mains en mains,

Brillant et s’éteignant. Tel au bord des chemins

On voit le ver luisant, dans la nuit qu’il éclaire,

Paraître ou se cacher au mois caniculaire.

Au milieu du tumulte et des joyeux propos,

Quelques femmes d’Albane, assises en repos,

Imitent par leur taille et leur antique tête

Des déesses de marbre assistant à la fête.

Cependant le temps fuit, la lumière pâlit,

Et la jeune Romaine, en regardant son lit,

Voit à regret mourir le dernier feu !... La foule,

Sur la place du Peuple, en murmurant s’écoule ;

Les voix sont déjà loin, l’écho n’a plus de sons,

Et les balcons muets ont fini leurs chansons ;

Par la lune éclairés, quelques dominos sombres

Dans le Corso désert glissent comme des ombres ;

Mais le saltarello près du Tibre a cessé,

Le jour des moccoli tel qu’un rêve a passé,

Et l’on n’aperçoit plus, dans une teinte grise,

Que les murs dentelés du palais de Venise ;

Et Rome se repose, et la paix des tombeaux

Succède au bruit des chars, à l’éclat des flambeaux.

 

Et puis le lendemain, sortant de leurs cellules,

Et les bruns Franciscains, et les blancs Camaldules,

S’emparent de la ville, et leurs yeux pénitents

Disent qu’il faut enfin commencer le saint temps.

Ils marchent en silence, et le marbre des dalles

Retentit lentement sous leurs larges sandales,

Qui foulent dans ces lieux, la veille profanés,

Et des flambeaux éteints et des bouquets fanés.

 

Ainsi l’âme s’endort quand sa fête est finie ;

Et soucis et chagrins, à la face jaunie,

Reviennent la fouler dans les sentiers humains,

Comme les pieds pesants de ces moines romains.

 

 

 

Antony DESCHAMPS.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques

de l’école romantique, 1879.

 

 

 

 

 

 

 

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