Bénédiction des Morts
À mon frère J. Desilets
SELON l’usage ancien des rites monastiques
Les prêtres et les clercs dans l’Ordre de Cîteaux,
Quand vient le jour des Morts, s’en vont en longs manteaux
Prier sur le sommeil de leurs aïeux mystiques.
Or, l’humble cimetière où gisent les défunts
Est sis en plate-bande autour du sanctuaire,
Où, ce matin, la neige étendit un suaire
De lin clair et blanc d’où montent de froids parfums.
Sous le soleil qui réjouit la matinée,
Autour de l’abbaye où plane tristement
Le glas des trépassés, silencieusement,
La famille des moines s’est acheminée.
L’abbé marche, portant les attributs sacrés :
Crosse et mitre à cristaux étincelants de neige.
Pères en blanc et clercs en brun lui font cortège
Vers le lieu qui reçut les restes vénérés.
Le convoi s’est rangé tout autour de l’enceinte
Et tandis que les fronts s’inclinent, recueillis,
L’officiant élève entre ses doigts vieillis
L’hyssope ruisselante d’où s’épand l’eau sainte.
Et les Frères ensemble ont récité tout haut
Le psaume : « J’ai crié du fond de ma tristesse,
Seigneur, prêtez l’oreille au cri de ma détresse ! »...
Et leurs supplications montaient vers le Très-Haut.
Car, selon l’us ancien des rites monastiques,
Les prêtres et les clercs dans l’Ordre de Cîteaux,
Quand vient le jour des Morts s’en vont, en longs manteaux.
Bénir le grand sommeil de leurs aïeux mystiques.
ABBAYE DE NOTRE-DAME DU LAC,
2 novembre 1911.
Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.