Le feu sous la cendre

 

 

On s’attache au passé. Lorsque j’aurai vieilli

Et que je reviendrai par les soirs de dimanche,

Vers les champs où mon cœur de terrien tressaillit

Une joie auréolera ma tête blanche.

Fidèle au souvenir des jours laborieux,

Où j’ai peiné conformément au dur précepte,

Je reverrai surgir de terre, sous nos yeux,

La forêt primitive et dont l’ombre intercepte

La lumière joyeuse et douce du matin.

Et notre humble maison, le berceau de ma race,

Telle que je la vis en un rêve lointain,

Me réapparaîtra faraude dans sa grâce.

Mes aïeux partiront à l’aube, ayant au bras

La hache et le fusil, et le rire à la bouche ;

Et tandis que choiront l’orme et le frêne gras,

Soudain déguerpira l’ours agile et farouche.

Et, de l’aube au coucher, les sonores échos

Révéleront la tâche ardente et formidable...

 

Or, à la fin, par un de ces matins pascaux

Je verrai l’un des miens, vieux et méconnaissable,

Se coucher à son tour comme un arbre géant.

L’un de ses fils prendra le sceptre du domaine

Et sous l’avril nouveau, drus et réjouissants,

Les blés comme autrefois jailliront de la plaine.

De génération en génération,

Dieu bénira la paix du laboureur austère

Et la prospérité sera dans sa maison.

 

Mais, un jour que l’épreuve, aux vivants salutaire,

Dispersera les cœurs et les bras généreux

La maison quittera sa joie accoutumée.

Et la douce maison, dans l’attente de ceux

Qu’elle a chéris, longtemps demeurera fermée.

 

La vertu du foyer pourtant vivra toujours.

Car, sous la cendre inerte, une ardente étincelle

Ranimera soudain le feu des anciens jours

Et la maison rassemblera ses fils en elle.

Les aïeux revivront dans notre souvenir

Et nous rappellerons leurs vertus à la plèbe.

Car, loin d’abandonner jamais de les bénir,

Je veux que nous gardions à ces faiseurs de glèbe,

Dont l’effort a semé la paix sur nos chemins,

Le culte harmonieux de notre gratitude.

Non contents d’imiter les œuvres de leurs mains,

Nous les célébrerons devant la multitude...

 

Je m’en irai content. Puisque j’aurai tracé

Mon sillon dans la plaine où Dieu m’avait placé,

Et puisque le repos du serviteur fidèle

M’attendra dans la Paix solide du cercueil,

Je bénirai la mort, et sur un geste d’elle,

Je saurai l’accueillir d’un fraternel accueil.

 

 

 

Alphonse DÉSILETS.

 

Quinze ans de poésie française à travers le monde,

Anthologie internationale,

textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,

France Universelle, 1927.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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