Ballade du gueux
CLOPIN-CLOPANT sur la grand’route.
Le gueux à qui le sort échoit
De faire trois repas par croûte,
S’en va suppliant et benoît.
Des seuils on l’indique du doigt
Tout comme un chien méchant qui rôde,
Que l’on pourchasse et qu’on ravaude,
Mais le bon Dieu, là-haut, le voit.
Or, sachant bien qu’on le redoute
Il ne loge sous aucun toit.
Et seule la céleste voûte,
La nuit, abrite son corps froid.
On dit qu’il est malpropre ; soit !
Le Prince porte l’émeraude,
Sa mante soyeuse est faraude ;
Mais son mauvais cœur !... Dieu le voit.
Quand le beau temps fait banqueroute
Et que la terre a soif et boit,
Sous cette interminable absoute
Il marche, flegmatique et droit.
En le voyant passer on croit
Qu’il a la tête lourde et chaude
Et pourtant c’est matine et laude
Qu’il marmotte... Mais Dieu le voit.
Envoi :
Prince dont le cœur est étroit
Et le palais immense, écoute :
Tu te moques du gueux sans doute
Mais le Dieu des pauvres te voit !
Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.