La maison qui meurt

 

 

VOUS la reconnaîtrez en passant sur la route ;

Elle est silencieuse, on ne sait depuis quand !

Des vieux vous diront bien qu’il s’est fait un encan

Chez elle, en « trente-sept », et que sa vieille voûte

Fut faite d’épinette et blanchie à la chaux,

Mais ils ne savent rien de plus sur son histoire...

Si vous entr’ouvrez les volets de pruche noire

Qui, depuis bien longtemps ont tenu ses yeux clos,

Vous saurez la détresse où la plongea naguère

Le départ de tous ceux qu’elle a vu naître au jour

Et chanter et sourire et se parler d’amour

Avant d’aller mourir sur la terre étrangère.

Elle vous parlera des nids et des berceaux

Qu’elle sut protéger contre l’intempérie ;

Elle évoquera même un vieux qui l’a chérie

Parce qu’elle est le fruit de ses vaillants travaux.

 

Les objets oubliés, pendus à la muraille.

Un vieux gilet de lin, les pinces du foyer,

Une vieille chaussure au pied de l’escalier,

Un chapeau dont grand’mère avait tressé la paille,

Sont les seuls lambeaux d’âme qui lui soient restés.

Aussi ressemble-t-elle à ces affreux squelettes

Que la mort, au détour du chemin sombre, guette

Et qu’une âpre bourrasque aura vite emportés...

Elle s’en va mourir comme une condamnée.

Soumise à son destin, elle a courbé le front,

Elle s’est prosternée en face de l’affront

En attendant que l’heure ultime soit sonnée !...

 

L’abandon qu’en son cœur, joyeux anciennement,

A fait naître aujourd’hui l’ingratitude humaine,

Le silence et le froid, son plus cruel tourment,

Elle supporte tout sans murmure et sans haine.

Voulez-vous éprouver la solide vertu

Qui l’anime et que lui léguèrent les ancêtres ?

Quand la tempête, un soir, fouettera ses fenêtres,

À son toit, par l’orage tant de fois battu,

Demandez un asile et vous verrez la joie

Qu’elle met à rouvrir son sein hospitalier !

Elle vous offrira le vieux siège oublié

Près de l’âtre où personne aujourd’hui ne s’assoit.

Elle vous défendra contre le vent rageux

Ou l’éclair qu’interdit son vieux paratonnerre ;

Et vous reconnaîtrez que son grand cœur de mère

Quoique triste est resté vaillant et généreux...

 

 

                                                       NICOLET fév. 1911.

 

 

 

Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.

 

 

 

 

 

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