Regrets
AU lieu de m’attarder à tous les biens perfides
J’aurais dû m’en aller, les pieds nus, les mains vides.
J’aurais dû t’épouser, sublime Pauvreté,
Dépositaire unique de félicité...
Car mes bras ont porté trop de richesses viles
Et mes yeux ont trop vu le faste vain des villes.
Et mes lèvres ont dit trop de mots mensongers.
Mon oreille, entendu trop de serments légers.
Mon cœur s’est enivré d’amours trop mal assises
Et trop longtemps mon âme est demeurée aux prises
Avec les noirs combats du mal contre le bien.
La vie est un leurre et je n’en attends plus rien.
Il n’est resté que vous, ô Christ, ô divin Maître,
Vous dont le front meurtri vint parfois m’apparaître
Au fort de la tempête où mes yeux égarés,
Par instants, s’attachaient sur vous désespérés.
Il n’est resté que vous à qui mon cœur coupable
N’ait point offert asile, et vous seul, immuable,
Pouviez combler d’un mot ma soif et mon désir.
Je me remets, Seigneur, à votre bon plaisir ;
Car je veux pourchasser les tristesses futiles,
Ne jamais plus verser de larmes inutiles.
Donnez-moi s’il vous plaît la résignation,
L’espoir en votre paternelle affection.
Donnez-moi de songer, lorsque viendra l’épreuve,
Que vous me voulez faire une âme ardente et neuve
Et qu’il faut que je porte ainsi que vous le faix,
Si je veux m’établir à la fin dans la paix !
Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.