Ode
Arriere, ô fureur insensée !
Jadis si forte en ma pensée,
Quand d’amour j’estois allumé :
Rempli d’une flamme plus sainte,
Je sens maintenant toute estainte
L’ardeur qui m’a tant consumé.
C’est trop, c’est trop versé de larmes,
C’est trop chanté d’amours et d’armes,
C’est trop semé ses cris au vent,
C’est trop, plein de jeunesse folle,
Perdre tans, labeurs et parolle,
Pour le corps l’ombrage suivant.
Seigneur, change et monte ma lyre,
Afin qu’au lieu du vain martyre
Qui se paist des cœurs ocieux,
Elle ravisse les oreilles,
Resonnant tes hautes merveilles,
Quand de rien tu formas les cieux.
Ô Père ! à toy seul je m’adresse,
Pecheur qui prens la hardiesse
D’elever le regard si haut ;
Et, te descouvrant mon offense,
J’invoque, en pleurant, ta clemence
Pour me purger de tout defaut.
Si je suis tout noirci de vice,
Tu peux m’appliquer ta justice
Comme j’en ay parfaicte foy ;
Si je ne suis que pourriture,
Pourtant je suis ta creature,
Qui ne veux m’adresser qu’à toy.
Fay moy voir ton oeil pitoyable,
Et, bien que je sois miserable,
Monstre-toy gracieux et doux ;
Ne me chastie en ta colere :
Car, helas ! si tu le veux faire,
Qui pourra porter ton courroux ?
Le ciel, qui toute chose embrasse,
Fuiroit tremblant devant ta face,
S’il te cognoissoit irrité ;
Et des anges la troupe sainte
N’oseroit paroistre, en ta crainte
De ta juste severité.
C’est toy, qui, d’une main puissante,
Dardes la foudre punissante,
Et qui d’un clin d’oeil seulement
Fais tourner ceste masse ronde ;
La flamme, l’air, la terre et l’onde
Sont serfs de ton commandement.
C’est toy qui n’as point de naissance,
Triple personne en une essence,
Tout saint, tout bon, tout droiturier,
Ton doigt ce grand univers range,
Et, bien que toute chose change,
Tu demeures sans varier.
Ta parole est seule asseurée,
Et quand plus n’aura de durée
Du ciel l’assidu mouvement,
Elle encor demeurera ferme,
Comme n’ayant ny fin ny terme
Non plus que de commencement.
Seigneur, c’est sur ceste parole
Que je m’asseure et me console
Quand mon cœur se pasme d’effroy.
C’est elle qui me fortifie
Et qui fait qu’ainsi je me fie
En Christ, mon sauveur et mon roy.
Fondé sur chose si certaine,
Auroy-je une esperance vaine ?
N’auroy-je ce qu’ay desiré ?
Mon attente est en ta clemance,
Ta parole est mon assurance :
Sçauroy-je mieux estre asseuré ?
C’est pourquoy desjà j’ose dire
Que rien n’a pouvoir de me nuire,
Le peché, l’enfer n’y la mort.
Ta bonté me donne courage ;
Qui peut m’asseurer davantage
Qu’un Dieu si puissant et si fort ?
Continue, ô Dieu ! continue,
Afin que ta force connue
Soit toujours mon seul argument,
Delaissant les faulses louanges
De mille et mille dieux estranges
Que j’ay chantez trop follement.
Qu’en mes vers desormais j’efface
Tant de traits, d’ardeurs et de glace ;
Qu’on ne m’entende plus vanter
Les yeux d’une beauté mortelle
Qui, par quelque douce cautelle
Auroient sceu mes sens enchanter.
Je m’en repens, rouge de honte,
Quand je mets quelquefois en conte
Tant de propos que j’ay perdus,
Tant de nuicts vainement passées,
Tant et tant d’errantes pensées,
Et de cris si mal entendus.
Ores troublé de jalousie,
Ou ayant dans la fantaisie
Quelque autre elancement nouveau,
Selon que les vagues soudaines
De mille tempeste mondaines
Agitoyent mon foible cerveau.
La mer qui gronde et se courrousse,
Quand maint vent la pousse et repousse,
N’escume point en tant de flots
Comme je portois dans la teste,
Durant l’amoureuse tempeste,
D’orageux tourbillons enclos.
Soit qu’on veit la belle lumière,
Ou soit que la nuict coustumiere
À son tour se vinst presenter,
Jamais ceste rage inhumaine
Ne donnoit relasche à ma peine,
Obstinée à me tourmenter.
Mais quoy ? veux-je faire revivre
Tant de morts dont tu me delivre ?
Veux-je me plaindre une autre fois ?
Et par mes accens lamentables
Tascher à rendre pitoyables
Les monts, les rochers et les bois ?
Las ! non ; mais, plein de repentance,
J’en veux perdre la souvenance,
Et l’avoir tousjours en horreur.
Ô Seigneur ! à qui je m’adresse,
Ne souffre, hélas ! que ma jeunesse
Retombe plus en ceste erreur.
Un cœur net en moy renouvelle,
Afin que plus je ne chancelle,
Suivant mon instinct vicieux ;
Et quelque chose que je face,
Baille-moy pour guide ta grace
Qui m’adresse au chemin des cieux.
Fay que mon lut tousjours te sonne,
Fay que mon doigt rien ne fredonne
Que tes œuvres grans et parfaicts ;
Que ma bouche se tienne close
Si je veux parler d’autre chose
Que de ta gloire et de tes faicts.
Philippe DESPORTES.
Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique
de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée
par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.