Bonheur des champs

 

 

C’est vrai ! je suis un rustre et mon pas est pesant ;

Je ne vis bien qu’aux prés, aux souffles de la brise,

Et j’ai ce lourd défaut, qui fait qu’on me méprise,

D’avoir le parler rude et d’être un paysan !...

 

Je sais mener mes bœufs et guider ma charrue,

Dans la plaine féconde allonger des sillons ;

Mais je ne sais comment m’asseoir dans les salons

Et je respire mal les odeurs de la rue.

 

Pour connaître le temps je ne consulte pas

Un almanach vieilli disant qu’après l’orage

Le soleil doit venir briller au pâturage,

Et pour trouver le Nord je fais fi du compas.

 

L’hirondelle qui passe en frôlant la poussière

Me fait comprendre, à moi, qu’il va tantôt pleuvoir

Et l’Astre de la Vierge, au fond du ciel tout noir,

Guide plus sûrement mes pas vers ma chaumière.

 

Ma richesse ? Grand Dieu ! mais je l’ai dans ma main

Lorsqu’en chantant je vais à travers mon domaine

Lancer sur mes labours la bonne et forte graine

Qui deviendra l’épi dont je ferai mon pain.

 

Votre or ne peut briller autant que mes avoines,

Il n’a pas le frisson de mes blés sous le vent ;

Et chaque jour je peux, dans le soleil levant,

Aller en mon jardin respirer mes pivoines.

 

Mes filles et mes gars sont faits pour vivre vieux,

Car sous leur peau brunie aux grands vents de la Terre,

Je sens monter le flot d’un sang héréditaire

Que moi-même je tiens de mes rudes aïeux.

 

La paix règne au foyer où ma femme fidèle

Sait tenir tout en ordre et montrer à l’enfant

Les mots du catéchisme ou ce que Dieu défend,

Et nous sommes heureux, le soir, sous la chandelle !...

 

 

 

Francis DES ROCHES.

 

Quinze ans de poésie française à travers le monde,

Anthologie internationale,

textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,

France Universelle, 1927.

 

 

 

 

 

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