À l’amie
I
Quand de ce printemps qui commence
On dira : le printemps dernier ;
Quand sur le rythme coutumier
L’été reprendra sa romance ;
Lorsqu’au jardin plein de parfums,
Plein de chansons et de bruits d’ailes,
Les gais oiseaux, les fleurs nouvelles
Nargueront les hivers défunts ;
Que tout jasera sur la terre,
Que tout sourira dans les deux...
Nos cœurs seuls seront anxieux
Et commenceront à se taire.
Car le moment approchera,
Le moment d’ivresse ineffable
Où de ses allures de fable
Notre idylle se défera ;
Où, les yeux perdus en un songe,
Mais la main pressant votre main,
J’oserai dire au lendemain :
Tu ne peux plus être un mensonge !
Où, l’âme tremblante d’émoi
Et pourtant mille fois heureuse,
Nous serons, ô mon amoureuse,
Moi près du ciel, vous près de moi !
II
Las ! attendre encore et toujours attendre :
Mot désagréable et malencontreux
Qui vient traverser notre rêve tendre
Et décourager nos cœurs amoureux.
Comme si la vie était éternelle !
Comme si le temps, pressé de voler,
Arrêtait jamais l’essor de son aile
Pour nous rajeunir et nous consoler !
Attendre, tandis que nous sommes jeunes,
Que nous nous aimons, que nous nous voulons,
Et que nous trouvons que de tous les jeûnes
Les jeûnes d’amour semblent les plus longs !
Attendre, tandis que l’hiver s’achève,
Que le gai printemps rit à l’horizon,
Et, quand tous les cœurs courent en plein rêve,
Voir les nôtres seuls rester en prison !...
III
Mais nous attendons, – puisqu’il faut attendre ! –
L’espérance au cœur, la tristesse aux yeux,
Et nous poursuivons notre rêve tendre
En laissant pencher nos fronts soucieux.
Ah ! quand sonnera l’heure bienheureuse,
Nous relèverons fièrement nos fronts.
Soupirs désolés, mine douloureuse,
Nous oublîrons tout, et nous sourirons.
Vous revêtirez votre robe blanche ;
Sous le voile orné de fleurs d’oranger
Vos yeux brilleront d’une gaîté franche,
Et vous marcherez d’un pas si léger
Que l’on croira voir une libellule
Et qu’on trouvera presque naturel
Que vous ouvriez des ailes de tulle
Pour vous envoler au septième ciel.
Mais vers ces hauteurs ce seront nos âmes
Qui, rebondissant d’un élan pareil,
S’empliront de si radieuses flammes,
Qu’il nous semblera toucher au soleil.
Soudain, le joyeux carillon des cloches
Marquera pour nous l’instant solennel
Où l’on nous verra, suivis de nos proches,
Nous agenouiller au pied de l’autel.
L’orgue chantera dans la vaste enceinte
Son hymne d’amour le plus exalté ;
Le prêtre lira la formule sainte :
Nous serons unis pour l’éternité.
Alors nous fuirons, tremblants d’allégresse,
Vers la solitude et vers le bonheur ;
Nous nous griserons de notre jeunesse
Les yeux dans les yeux, le cœur sur le cœur ;
Et, nous souvenant de nos longues transes,
Nous proclamerons ce fait merveilleux
Qu’au pays d’amour, retards et souffrances
N’ont jamais servi qu’à se chérir mieux.
François DES SALLES.
Paru dans L’Année des poètes en 1894.