L’empreinte
I
Nous sommes rivaux rivés à la chaîne
De notre destin. Elle est mon tourment
Et ma volupté, ma pierre d’aimant,
Mon tribut humain d’amour et de haine.
Elle est ma raison, ma joie et ma peine,
Mon adhésion, mon consentement,
Et la croix de chair de mon portement,
Mon bonheur divin, mon extase humaine.
Nous sommes jumeaux, égaux, affrontés ;
Mais dans notre ivresse et dans nos baisers,
La rose de pourpre ente ses épines.
Et d’accents vermeils plaquant les accords,
L’Arbre de la Vie unit ses racines
Aux clous du désir qui rivent nos corps.
II
Et de notre amour et de notre étreinte,
Et de ton ardeur et de mon tourment,
D’un émoi divin, double enlisement,
L’argile et l’azur ont gardé l’empreinte.
D’argile et d’azur, ô double contrainte
Où ton âme émet son rayonnement !
Je mange mon pain à ton sacrement,
Je bois dans tes yeux des rêves d’absinthe.
Je glane au sablier, la manne en instants
De sable et d’azur, d’espace et de temps,
Sur quelque mirage, ô source bénie !
Où se réfléchit le songe inconstant
Que l’Arbre mûrit dans le firmament,
Et le fruit de chair de l’Arbre de Vie !...
III
Quand le désir tend aux derniers accords,
Croisés dans la nuit, l’ombre et le mystère,
Quand croise le ciel sur la croix de terre,
Effort exaltant ! Prière des forts !
L’ombre, de la nuit porte le remords,
Ce fruit de l’étoile et de la matière,
Et croise l’argile avec la lumière,
Et croise notre âme à travers nos corps...
Tu portes ta croix ; tu portes ton double,
Ainsi qu’un reflet sur ton ombre trouble.
Et, sous le baiser de l’astre qui luit,
Le rayon se croise avec la pensée,
Et nos cœurs fervents croisent, chaque nuit,
Notre croix de chair, à chaque croisée...
Charles DHERS, stalag IV B.
Publié dans Cahier des prisonniers, « Les Cahiers du Rhône »,
Éditions de La Baconnière, Pâques 1943.