Yermak, conquérant de la Sibérie

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ivan DMITRIEV

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

M. DMITRIEV (Ivan), conseiller privé actuel, chevalier, membre de l’Académie russe et de plusieurs sociétés littéraires, naquit en 1760, dans les terres de son père, gouvernement de Simbirsk. Il fit ses premières études à Kasan, et ensuite à Simbirsk, dans des instituts particuliers ; mais, à l’âge de douze ans, son éducation fut subitement interrompue par les troubles qui s’élevèrent dans les contrées du bas Volga, lors de la révolte de Pougatchev. Le père de M. Dmitriev fut contraint de se réfugier à Moscou avec toute sa famille, et d’y attendre le retour de la tranquillité. C’est là qu’il prit la résolution d’envoyer son fils, alors âgé de quatorze ans, à Saint-Pétersbourg, pour le faire entrer dans le régiment des gardes de Séménovsky. Le jeune militaire passa sept mois à l’école de ce régiment, entra ensuite au service actif, où il resta jusqu’au grade de capitaine.

À l’avènement de l’empereur Paul Ier, M. Dmitriev obtint son congé avec le grade de colonel, et, quelques mois après, étant entré au service civil, il fut nommé adjoint du ministre des apanages, et premier procureur du sénat. Les talents qu’il déploya dans l’exercice de ces deux charges appelèrent sur lui l’attention du gouvernement, et lui ouvrirent les portes du sénat. Bientôt après, S. M. l’empereur Alexandre lui confia le portefeuille du ministère de la justice, en le décorant des ordres de Sainte-Anne de première classe, et de Saint-Alexandre. Quelques années après, quand M. Dmitriev eut quitté le ministère, le souverain ne l’oublia point dans sa vie privée, et le créa membre de la commission de bienfaisance de Moscou ; c’est alors qu’il reçut le rang de conseiller privé actuel, et le grand cordon de Saint-Wladimir.

La nature avait doué M. Dmitriev de cette rare organisation, qui rend les hommes également aptes aux intérêts sérieux de l’administration publique, et aux riantes conceptions de la Poésie. La culture des Belles-Lettres était pour lui le noble délassement de ses travaux ; son esprit flexible pouvait suffire à tout ; cette heureuse alliance de deux genres d’application, qui semblent s’exclure, était assez commune chez les anciens : elle devient chaque jour plus rare chez les modernes.

Le goût de M. Dmitriev pour la Poésie s’annonça de fort bonne heure. Il fit paraître plusieurs de ses productions dans diverses feuilles périodiques, particulièrement dans le Journal de Moscou, années 1792 et 93. Il s’est surtout distingué dans l’Apologue et dans le Conte. Imitateur de La Fontaine, il égale souvent son modèle dans sa naïveté, son naturel et le bonheur des expressions. Cet écrivain a parfaitement saisi l’esprit du Bonhomme, et, maîtrisant sa propre langue avec cette force victorieuse que donne le talent, il a su la faire plier aux tours et aux finesses de la nôtre. Un grand nombre de fables servent de témoignage à la difficulté vaincue, et à l’heureuse naturalisation du fabuliste français sous le ciel du Nord.

Depuis l’an 1795 jusqu’en 1818, cet illustre poète a fait paraître cinq éditions de ses œuvres. On publie, dans ce moment, la sixième avec des suppressions et corrections, aux frais de la société libre des amateurs de la littérature de Saint-Pétersbourg ; elle se compose d’odes sacrées, héroïques et morales, d’épîtres, contes, satires, fables, chansons, etc.

M. Dmitriev, retiré à Moscou, jouit à la fois du souvenir honorable de sa vie publique, du succès mérité de ses ouvrages, et de l’estime universelle.

 

 

 

 

 

 

                                      YERMAK,

                                 CONQUÉRANT DE LA SIBÉRIE.

 

                                           _____

 

L’OBSCURE antiquité se découvre à mes yeux,

Muse, prête à mes chants des sons harmonieux.

Aux rayons incertains de la lune voilée,

J’aperçois de l’Irtisch la rive désolée 1 ;

L’Irtisch est frémissant ; sur les rocs sourcilleux

Qu’il baigne avec fracas de ses flots écumeux,

Deux hommes sont assis ; à leurs traits durs et sombres

Je les ai crus sortis du royaume des ombres ;

De l’un de ces guerriers, sillonné par le temps,

La barbe blanchissante atteste les vieux ans ;

L’autre est plein de vigueur et dans la fleur de l’âge.

Je vois avec effroi leur armure sauvage ;

Les ailes des hiboux, la peau des noirs serpents

S’entrelacent autour de leurs casques brillants ;

Couverts du poil des ours, et des rennes timides

Que leurs traits ont percés sur ces roches arides,

Ils cuirassent leur sein créé pour les combats

De cailloux et de fer rougi par les frimas.

De larges coutelas, et la pique guerrière

Arment ces deux Chamans bannis de leur chaumière 2,

Deux magiques tambours à leurs pieds sont placés 3,

Et ces âpres accents sont par eux prononcés.

 

                        LE VIEILLARD.

 

Mugis, Irtisch, mugis, partage nos alarmes ;

Dans tes antres profonds répète nos adieux.

Nos foyers envahis pour nous n’ont plus de charmes ;

Nous sommes à jamais rejetés par les dieux.

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

Ô douleur inconnue, ô mortelles alarmes,

Sommes-nous à jamais rejetés par les dieux ?

 

                        LE VIEILLARD.

 

Ô terre qu’aujourd’hui la fortune abandonne,

Trois grands peuples jadis soutenaient ta couronne 4 ;

Riche par tes forêts, ton fer et tes coursiers,

À la voix du danger, terre illustre et féconde,

De ton sein jaillissaient des torrents de guerriers ;

Ton nom, de bouche en bouche, aux limites du monde,

        Avec honneur était porté ;

Tes beaux jours ne sont plus, puissante Sibérie 5.

        Ta gloire s’est évanouie !

Et tes fils vont languir dans la captivité !...

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

Tel un noir ouragan chasse an loin la poussière,

Tel, par un bras vainqueur, ton peuple est dispersé ;

L’amour de ses sujets, et l’effroi de la terre,

De son trône éclatant Koutchoum est renversé 6.

Que dis-je ? Il a péri sur la plage étrangère.

 

                        LE VIEILLARD.

 

Dans l’épaisseur des bois, tes prêtres sont errants ;

Chaitanes, déités de ma triste patrie 7 !

Je vous sers dès l’enfance, et j’ai plus de cent ans.

Dieux impuissants ! pourquoi prolongiez-vous ma vie,

        Si j’ai dû voir mes cheveux blancs

        Dévoués à l’ignominie,

Et la mort moissonner nos malheureux enfants ?

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

Hélas ! par quels revers la fière Sibérie,

        Mon père, a-t-elle succombé ?

 

                        LE VIEILLARD.

 

Tu causas ses malheurs, belliqueuse Russie ;

Sous ton sceptre d’airain, mon pays s’est courbé.

Plût au Ciel que le feu, la peste et la famine,

        Les vents, les fleuves déchaînés,

D’un peuple généreux, conspirant la ruine,

        Nous eussent tous exterminés,

Ou que ces dieux vengeurs qui lancent le tonnerre,

Sous nos toits chancelants, nous eussent foudroyés,

        Plutôt que de voir notre terre

Esclave d’Yermak, et foulée à ses pieds !

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

Yermak ! le fléau, l’horreur de la nature 8 !

Montagnes, sombres bois, jour brillant, nuit obscure,

                Maudissez ce mortel.

Dévouez aux enfers cet objet d’épouvante ;

C’est lui qui nous plongea, de sa main dévorante,

                Dans un deuil éternel...

 

                        LE VIEILLARD.

 

        Tels nous voyons, dans notre Sibérie,

            Les aquilons et les frimas

            S’entrechoquer avec furie,

            Et porter au loin le trépas ;

Tel marchait Yermak : de sa flèche homicide

            La mort suivait le vol rapide ;

            La mort avait guidé son bras.

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

Te souvient-il du jour, jour à jamais horrible,

            Où le frère de notre Roi

Succomba sous les coups de ce guerrier terrible ?

 

                        LE VIEILLARD.

 

Ce souvenir encor excite mon effroi ;

Pour la première fois, trahi par la victoire,

Le grand Méhémetkoul vit ternir ses hauts faits 9 ;

Je l’ai vu ce combat de funeste mémoire :

Dès que de son carquois s’épuisèrent les traits,

Tout à coup enflammé d’une ardeur téméraire,

Méhémetkoul s’élance, armé d’un cimeterre,

Il s’écrie : « Yermak, je ne crains point la mort ;

        » Donne-la-moi, je la préfère

    » Au déshonneur de terminer mon sort

        » Dans l’esclavage et la misère. »

Notre chef, à ces mots, fond sur son ennemi ;

Déjà des fers croisés l’étincelle a jailli ;

Moins brillant est l’éclair, messager de l’orage :

L’adresse, la valeur favorisent leur rage.

Mais l’acier se pliant sous l’effort de leur bras,

Les glaives sont brisés, et volent en éclats.

Soudain les deux guerriers corps à corps se saisissent ;

De leurs cris menaçants les forêts retentissent ;

Le sol est ébranlé : de leurs bras musculeux,

Ces robustes lutteurs s’entrelacent tous deux,

Se heurtent tour à tour, se courbent, se redressent ;

Leurs nerfs sont frémissants, leurs poitrines se pressent ;

Couverts de sang, meurtris, inondés de sueur,

La longueur du combat redouble leur fureur.

Cependant Yermak saisit son adversaire,

Et l’étend à ses pieds, dans des flots de poussière.

« Prince, s’écria-t-il, la victoire est à moi ;

» Tout ici, désormais, doit fléchir sous ma loi. »

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

        Ô malheureuse Sibérie !

        Il fut trop tôt exécuté,

Cet arrêt destructeur de ma chère patrie,

Qu’au sein de la victoire Yermak a dicté.

        Ô malheureuse Sibérie !

Sont-ils donc à jamais éclipsés tes beaux jours ?

Mon père, dans les fers, gémirons-nous toujours ?

 

                        LE VIEILLARD.

 

Toujours.... Écoute-moi : tu vois ces forêts sombres.

Hier, quand l’astre d’or pâlit devant les ombres,

Je m’étais enfoncé dans leurs vastes détours ;

Là, penché sur le sein des victimes sanglantes,

J’adressais à nos dieux des prières ferventes.

        Mais l’ouragan trouble les airs ;

        La terre tremble, et la tempête

        Avec fracas courbe la tête

        Des chênes, rois de nos déserts.

        Aux coups redoublés du tonnerre,

        Leur feuillage jonche la terre 10.

        Des daims les membres palpitants

        Sont dispersés par les Autans.

        Je tombe sur l’humide pierre,

        La terreur glace tous mes sens ;

        Du Ciel alors semble descendre

        Une voix qui me fait entendre

        Ces épouvantables accents :

« Cesse de m’implorer : le sang et la prière

» Ne peuvent de Ratcha désarmer la colère 11,

» Quand son bras étendu sur ce vaste Univers

» Punit l’orgueil des rois et les peuples pervers.

» Ingrats Sibériens qui me fîtes l’outrage 12

» De renier mon nom, de rejeter ma loi ;

» Déshérités du Ciel, abandonnés par moi,

» Du roi blanc à jamais subissez l’esclavage 13 ;

» Que de l’astre du jour la féconde clarté,

» Les voiles de la nuit, et la riante aurore,

» Dans un long avenir, vous y trouvent encore.

» D’Yermak j’ai béni le courage indompté ;

» Tous les siècles futurs célébreront sa gloire,

» Et le temps tombera sur sa tranchante faux,

        » Avant d’effacer la mémoire

        » De ses héroïques travaux. »

À ces mots foudroyants succède le silence ;

Et l’éclair aussitôt, dans l’horizon immense,

Trois fois a sillonné le nuage orageux.

Malheur à nous !

 

                        LE JEUNE HOMME.

 

                            Malheur ! ô destins rigoureux !

Des deux Chamans alors je vois couler les larmes ;

Mais bientôt se levant, et reprenant leurs armes,

Ils suivent de ces bords les sentiers tortueux,

Et dans l’épais brouillard disparaissent tous deux.

    Repose en paix sur le lointain rivage,

Yermak ! que cet or conquis par ton courage 14,

Cet or, que de l’Oural ta lance a fait jaillir,

Grâce à la main des arts, nous offre ton image :

De lauriers et de fleurs nous irons la couvrir.

Mais que dis-je ? sur toi lorsque ma muse appelle

Les honneurs qu’on décerne aux mânes des héros,

Dans quel champ jouis-tu de l’éternel repos ?

Quelle terre a reçu ta dépouille mortelle ?

    En ce moment peut-être un sanglier

    Disperse-t-il les cendres du guerrier ;

    Peut-être, hélas ! sont-elles profanées 15

        Par les Ostiaks vagabonds,

        Quand de leurs flèches empennées

Ils atteignent le cerf sur la cime des monts.

        Dors en paix, ombre vénérée,

        Dans le désert silencieux.

Quand l’aurore sortant de la voûte azurée

Détache de la nuit les crêpes ténébreux,

Par la reconnaissance une muse inspirée

T’adresse en soupirant des chants harmonieux.

Ta gloire d’un grand peuple a conquis les hommages,

Yermak : que ton nom, par le temps respecté,

        Retentisse sur nos rivages,

Jusqu’au jour solennel où le torrent des âges,

Muet, s’arrêtera devant l’éternité.

 

 

 

Ivan DMITRIEV.

 

Recueilli dans Anthologie russe,

présentation, traduction et annotation

d’Émile DUPRÉ DE SAINT-MAURE.

 

 

 

 

 

 

 



1 « J’aperçois de l’Irtisch la rive désolée. »

L’Irtisch. Cette grande rivière de la Sibérie sort de la Zungorie, ou pays des Mongols, habitée ci-devant par les Kalmouks, et actuellement par les Kirguiss-Kaissacs, traverse le lac Zaïssan, que les Kalmouks et les Tatars appelaient autrefois Kizalpou. Avant d’entrer dans ce lac, elle s’appelle Irtisch supérieur ; lorsqu’elle en sort, elle prend le nom d’Irtisch inférieur, et après avoir arrosé, toujours en serpentant, une grande étendue de pays, dans la province de Kolivan et le gouvernement de Tobolsk, elle se jette dans l’Ob (Dictionnaire géographique et historique de l’empire de Russie, par M. Vsévolojsky).

 

2 « Le large coutelas et la pique guerrière

» Arment ces deux Chamans bannis de leur chaumière. »

On appelle Chamans les prêtres ou devins des peuplades de la Sibérie, qui n’ont point encore embrassé la religion chrétienne. Lorsque ces devins exercent leur art, ils se placent dans la cabane devant un grand feu ; ils font des grimaces et d’horribles contorsions, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu du diable la réponse qu’ils désirent. Tous ceux qui assistent à cette cérémonie font un bruit épouvantable, en battant sur des chaudrons, et en jetant des cris ; le calme ne se rétablit que lorsque leur imagination les porte à voir une fumée bleuâtre s’élever au-dessus de la tête du devin.

 

3 « Deux magiques tambours à leurs pieds sont placés. »

Espèce de tambour de basque entouré de grelots.

 

4 « Trois grands peuples jadis soutenaient la couronne. »

Les Tatars, les Ostiaks et les Vogoulitches.

 

5 « Tes beaux jours ne sont plus, puissante Sibérie ! »

On comprend sous cette dénomination toute la vaste étendue de pays qui se prolonge depuis le mont Oural à l’ouest, jusqu’à l’océan oriental à l’est, et qui embrasse tout le nord de l’Asie, sur un espace de deux cent milles géographiques carrés ; elle est bornée au septentrion par l’océan glacial, et au midi par une chaîne de montagnes, qui la séparent des steppes des Kirguiss-Kaissaks et de la Tartane chinoise, et qui continue sans interruption, en prenant cependant différents noms, depuis la mer Caspienne à l’Occident, jusqu’à l’océan oriental ; c’est principalement cette chaîne non interrompue de montagnes qui rend le climat de la Sibérie si froid, en empêchant les vents du midi d’y pénétrer, et en y arrêtant ceux du nord, qui soufflent sans obstacle, en passant par les glaces du pôle (Dictionnaire géographique et historique de l’empire de Russie, par M. Vsévolojsky).

M. Vsévolojsky désigne aux personnes qui désireraient des descriptions très détaillées de la Sibérie, les voyages de plusieurs célèbres marins russes, tels que Béring, Tchirikov, Sarytchev, Billings, Krusenstern, et des académiciens Pallas, Lepekhine, Gmélin, Adams, etc., etc.

 

6 « De son trône éclatant Koutchoum est renversé ; 

» Que dis je ? il a péri sur la plage étrangère. »

Ce prince était un descendant de Tchinguiss-Khan par Tchaibana-Khan, auquel Batou-Khan donna la partie méridionale de la Sibérie, sous le nom de l’empire de Touran. Cet empire s’étendait sur les bords du Tobol, de l’Irtisch, et même jusqu’à l’Ob.

Koutchoum, chassé de ses États par les Russes venus au secours d’Yermak, se réfugia chez les Kalmouks, qui le firent périr.

 

7 « Chaitanes, Déités de ma triste patrie, 

» Je vous sers dès l’enfance, et j’ai plus de cent ans. »

Les idoles pour lesquelles les peuplades sibériennes montrent le plus de vénération se trouvent dans la contrée des Yourtes, à soixante-dix verstes au-dessous d’Obdorsk. Elles sont placées dans un vallon boisé, et soigneusement gardées par des Ostiaks, qui cherchent à les dérober aux regards des étrangers. Ils s’y rassemblent fréquemment pour y faire leurs offrandes. L’une de ces idoles est habillée en homme et l’autre en femme, dans le costume des Ostiaks. Rien n’est épargné pour la beauté de leurs habits qui sont faits avec le meilleur drap, les plus belles fourrures, et ornés de toutes sortes de figures d’animaux en plaques de laiton ; chacune de ces idoles est placée dans une cabane particulière construite près d’un arbre ; le tronc de ces arbres est tapissé d’étoffes. Le sommet est garni de lamines de fer blanc, auxquelles est suspendue une clochette que le vent fait mouvoir.

La vénération des peuples pour ces idoles s’étend même jusque dans les contrées où elles sont exposées ; ils n’y fauchent point l’herbe, n’y abattent aucun arbre ; ils n’y chassent jamais, et n’osent point y boire l’eau des ruisseaux, dans la crainte de déplaire à leurs divinités. Ils évitent aussi d’aborder trop près du rivage, avec leurs canots, quand ils voyagent sur les fleuves de cette contrée. Si le trajet est considérable, ils font leurs provisions d’eau avant de pénétrer dans le pays consacré à leurs idoles, et, s’ils y manquaient, ils endureraient la soif la plus cruelle, plutôt que de puiser de l’eau dans les ruisseaux et les rivières (Dictionnaire géographique et historique de l’empire de Russie, par M. Vsévolojsky).

 

8 « Yermak le fléau, l’horreur de la nature ! »

Les Russes n’établirent leur domination dans ces contrées que sous le règne du Tsar Ivan Vassilievitch. Les pirateries des Cosaques du Don sur le Volga et la mer Caspienne obligèrent ce prince, en 1577, d’envoyer des forces considérables pour les réprimer ; ces pirates furent défaits : on leur fit beaucoup de prisonniers. Yermak, l’un de leurs chefs, voyant sa retraite vers le Don coupée, et craignant de tomber entre les mains du Tsar, continua à remonter le Volga avec six mille Cosaques ; et après avoir traversé le mont Oural, il tomba sur les possessions de Koutchoum-Khan, qui régnait alors dans le Touran. Les souverains de ce pays habitaient ordinairement une ville fortifiée sur la rive droite de l’Irtisch, à seize verstes du lieu où se trouve actuellement la ville de Tobolsk ; les victoires d’Yermak diminuaient ses forces ; de cinq mille Cosaques qu’il avait en entrant dans le pays, il se vit réduit à cinq cents. Malgré ce petit nombre, ce valeureux chef livra bataille à Koutchoum-Kan, et remporta sur lui une victoire complète en 1581. Le Kan abandonna sa capitale ; Yermak y entra victorieux, et reçut le serment de plusieurs peuples qui venaient se soumettre à sa puissance et lui payer tribut. Ce héros sentait cependant qu’il lui serait impossible de se maintenir dans ses conquêtes, tant qu’il ne pourrait renforcer sa petite armée. Il se décida donc à députer à Moscou un de ses officiers, nommé Ivan Oltzov, pour implorer le pardon du Tsar, lui faire hommage de ses conquêtes, et lui demander du secours. Cet officier fut accueilli avec bonté ; toutes les demandes d’Yermak lui furent accordées, et on lui envoya sur-le-champ cinq cents hommes bien armés. Outre son pardon, on le qualifiait, dans des lettres patentes, de prince de Sibérie ; mais il ne put jouir de cette gloire : car, avant le retour de son envoyé, la fortune l’abandonna ; le manque de vivres occasionna un murmure général parmi ses troupes ; enfin, elles se mutinèrent. Dans cet état de confusion, il fut surpris et battu par Koutchoum. Yermak, voulant réparer le désordre, tomba dans l’Irtisch en passant d’un bateau dans un autre : le poids de ses armes fut la cause de sa mort. Cet évènement eut lieu en 1584. Le Tsar étant mort bientôt après, son successeur n’abandonna point cette conquête ; on y envoya des troupes, et la Sibérie fut régie comme le reste de l’empire, par des Voïévodes, qui s’assurèrent du pays en bâtissant des villes et des forts. Peu à peu la domination russe s’étendit jusqu’à l’océan oriental (Dictionnaire géographique et historique de l’empire de Russie, par M. Vsévolojsky).

 

9 « Le grand Méhémetkoul vit ternir ses hauts faits. »

Yermak l’ayant fait prisonnier, l’envoya au Tsar Ivan Vassilievitch. C’est de ce frère de Koutchoum que les princes Sibirsky tirent leur origine.

 

10 « Des daims les membres palpitants 

» Sont dispersés par les Autans. »

Les sacrifices de rennes et de daims que ces peuples font à leurs idoles sont accompagnés de beaucoup de cérémonies. C’est toujours un devin qui préside à ces sacrifices.

 

11 « Cesse de m’implorer, le sang et la prière

» Ne peuvent de Ratcha désarmer la colère. »

Principale idole des Ostiaks.

 

12 « Ingrate Sibérienne, qui me fîtes l’outrage 

» De renier mon nom, de rejeter ma loi. »

Koutchoum, né dans le mahométisme, engagea, ou plutôt contraignit une grande partie de la Sibérie à adopter cette religion.

 

13 « Du roi blanc à jamais subissez l’esclavage. »

C’est ainsi que les Tatars et les Sibériens appelaient les souverains de la Russie.

 

14 « Yermak, que cet or conquis par ton courage,

 » Cet or que de l’Oural ta lance fit jaillir. »

Cette chaîne de montagnes qui sépare l’Europe de l’Asie septentrionale s’appelle communément Oural (ceinture). Les anciens donnaient à cette chaîne le nom de monts Hyperboréens ou Ryphéens, et quelquefois celui de montes Rymni. Les montagnes de l’Oural sont très riches en minéraux. On y a construit des ouvrages considérables pour exploiter l’or, le cuivre et le fer qui sont d’un grand produit pour la couronne.

 

15 « Peut-être, hélas ! sont-elles profanées

 » Par les Ostiaks vagabonds. »

Peuple de la Sibérie. Ce nom d’Ostiaks lui vient des Tatars qui, ayant fait la conquête d’une grande partie de ces contrées, appelèrent, par dérision, ses habitants Ouchtiaks, qui signifie, en leur langue, inhospitalier, sauvage. De là est venu, par corruption, le mot Ostiak, et Otiak, que leur donnent actuellement les Russes. Ces derniers étendent cette dénomination à trois peuples dont l’origine et la langue diffèrent entièrement. Ceux du Ienisseï ne pouvant offrir au savant géographe des notions bien précises, il se borne à décrire les Ostiaks de l’Obi, dont les mœurs, les usages et la langue ont été très bien observés par plusieurs voyageurs russes.

 

 

 

 

 

 

 

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