Les étoiles éteintes
FRAGMENT
À Paul Bourget.
À l’heure où sur la mer le soir silencieux
Efface les lointaines voiles,
Où, lente, se déploie, en marche dans les cieux,
L’armée immense des étoiles,
Ne songes-tu jamais que ce clair firmament,
Comme la mer, a ses désastres ?
Que, vaisseaux envahis par l’ombre, à tout moment
Naufragent et meurent des astres ?
Vois-tu, vers le zénith, cette étoile nageant
Dans les flots de l’éther sans borne ?
L’astronome m’a dit que sa sphère d’argent
N’était plus rien qu’un cercueil morne.
Jadis, dans un superbe épanouissement,
D’un troupeau de mondes suivie,
Féconde, elle enfantait majestueusement
L’Amour, la Pensée et la Vie.
Tous ses bruits, un par un, se sont tus sous le ciel,
L’espace autour d’elle est livide ;
Dans le funèbre ennui d’un silence éternel
Elle erre à jamais par le vide.
Pourtant, elle est si loin que depuis des mille ans
Qu’elle va, froide et solitaire,
Le suprême rayon échappé de ses flancs
N’a pas encor touché la terre.
Aussi, rien n’est changé pour nous : chaque matin
La clarté de l’aube l’emporte,
Et chaque soir lui rend son éclat incertain...
Personne ne sait qu’elle est morte.
Le pilote anxieux la voit qui brille au loin,
Et là-bas, errant sur la grève,
Des couples enlacés la prennent à témoin
De l’éternité de leur rêve !
C’est la dernière fois, et demain nos amants
N’y lèveront plus leurs prunelles
Elle aura disparu, – comme font les serments
Qui parlent d’amours éternelles !
Auguste DORCHAIN, La Jeunesse pensive.