Les cèdres des Laurentides
Beaux cèdres qui charmez la paix des solitudes,
Le deuil de votre vie a caressé mes nuits ;
Du tréfond des ravins aux fières altitudes,
Vous ombragez le sol et ses vastes ennuis.
Vous êtes recueillis, votre ombrage est austère,
C’est l’abri coutumier des mânes exilés.
Votre souple racine effleure notre terre
Comme les pieds obscurs des seigles et des blés.
C’est de vous que l’on fait la coque des navires
Qui bravent le courroux du profond océan ;
Votre bois se retrouve aux tombeaux de Palmyre,
Aux sarcophages noirs des rois de l’Orient.
Vous semez dans les soirs vos parfums nostalgiques
Et que l’ombre transporte avec l’aile du vent ;
À vos frères pareils, des tempêtes tragiques
Ont ému vos échos comme ceux du Liban.
Le ciel a mis en vous quelque secret suprême :
Votre bois sert encore à des enchantements,
Faisant naître l’amour au cœur de ceux qu’on aime,
Appelant quelque rêve au bord des firmaments.
Vous versez de l’espoir, cèdre blanc, cèdre rouge
Votre bois a servi la foi des amoureux ;
Jadis, à vos rameaux, dont l’ombre ce soir bouge,
L’Algonquine attachait des brins de ses cheveux ;
Et cette ombre dolente emportait sa romance
Vers le trappeur aimé, vivant du même espoir....
Vous régnez aujourd’hui dans la forêt immense,
Proscrits de ces amours emportés vers le soir.
Et j’ai lu sur vos troncs des mots cabalistiques,
Profonds et souverains ; et d’infinis frissons
Ont traversé le deuil de vos branches mystiques,
Comme au souffle du vent frissonnent les moissons.
Beaux cèdres qui dormez dans votre encens nocturne,
Par de là les monts bleus, au fond des gouffres noirs,
Ému, j’ai contemplé vos cimes taciturnes,
Mon âme a voltigé dans la paix de vos soirs !
Cèdres évocateurs des vagues endormies,
Lorsque le soleil meurt ouvrant ses mains de feu,
Sur la neige, l’hiver, de vos branches amies,
En pose de prière, avez-vous prié Dieu !
Louis-Joseph DOUCET,
La jonchée nouvelle, 1910.