Promenade

 

 

Nous nous parlions à peine, nos mots étaient rares, le paysage était si beau là-haut, qu’il parlait pour nous, au front du vaste promontoire dominant l’étendue de la grande cité. Et nous croyions que nos deux âmes engourdies après l’ascension de la pente abrupte s’engourdissaient encore dans un repos passager. Le contraire se produisit ; plus loin de la terre, plus près du ciel, ce fut l’éveil, et notre vie détachée d’une vallée obscure aspira tout de suite à de nouvelles lumières.

L’azur, après les gris nuages, était plus pur et nos âmes aussi semblaient rasséréner en s’approchant du sommet altier.

Le soleil a crevé l’horizon sombre changeant momentanément la tristesse des choses en une gloire septentrionale, l’astre roi sombrera bientôt, mais avant de mourir dans une mare de sang luisant qu’il fige sur le plat-bord du monde, semble-t-il, de ses rayons obliques, il nous jette un adieu de son regard de feu sempiternel.

Vois, du haut de cette citadelle unique, la ville qui prie, une rumeur s’élève plaintive et lointaine, les Angélus annoncent la fin du jour, le fleuve se recueille et le vaisseau accroché au quai solitaire semble tirer sur ses câbles tel un être qui comprendrait l’emprisonnement d’une jalouse liberté.

Nous ne nous parlons plus, nous demeurons muets en face et au-dessus de la terre et des ondes, puisque tout parle à notre place.

Le soleil est disparu, l’étoile du soir surgit de ses champs bleus. L’onde fuit toujours. Ta main tremble. Partons. Dieu est partout. La nuit sourit à ton sourire. Le rêve se penche vers nous comme une rose blanche que jetteraient les anges de leurs balcons fleuris.

Beau soir, ta beauté tardive remplace celle du jour dont la flamme s’est éteinte comme une âme lassée d’habiter le même corps ; mais, plus tôt ou plus tard, tout se succède et tout fuit pour revenir, tu passeras comme le jour, et comme le jour aussi les heures que tu emportes feront place à la dernière vers laquelle nous marchons et, sans bien le comprendre, puisque l’espérance nous entraîne vers l’avenir, nous courrons donc après l’instant ultime qui sera témoin de notre dernier soupir.

Beaux soirs futurs qui ressemblerez à celui-ci, acceptez d’avance mon suprême salut, quand tant d’autres humains pourront vous contempler d’un regard aussi content que le mien. Je remercie d’un cœur serein la paix nocturne qui descendra sur le sable de mon ultime refuge !

 

 

 

Louis-Joseph DOUCET, Prologues et pensées, 1927.

 

 

 

 

 

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