Le doute
N’as-tu pas rencontré, poète, sur ta route,
Ce mauvais conseiller que l’on nomme le doute ?
Il cherche à s’emparer du plus pur de ton cœur
Pour te laisser après lutter dans le malheur.
Un jour, je l’ai connu. Que grande est son emprise !
Je l’ai senti mon maître et, quoique l’on en dise,
Il est plus fort que nous, plus fort qu’un pauvre humain
Qui marche sans lumière au terrestre chemin.
Par ce pesant fardeau, ma pauvre âme alourdie
Ne voulait pas la haine et pas non plus l’amour.
Je n’aimais pas le bien, non plus la perfidie
Et je disais : pourquoi donc avoir vu le jour ?
J’étais dans l’ombre immense comme suspendue.
Mon œil en vain cherchait au loin quelque horizon,
Je n’avais plus en moi ni force ni raison
Et j’ai dit dans un râle : ô Dieu, suis-je perdue ?
Viens, si tu ne veux pas que je doute du ciel,
Car je sens de trop près l’attirance du gouffre.
M’as-tu donc mise ici pour que toujours je souffre ?...
Dieu voulut qu’un écho réponde à mon appel.
Il m’envoya la Muse : Ô toi, ma bien-aimée,
Oh ! – reste-moi fidèle en ces jours de douleur
Et comme au temps jadis par toi seule animée,
Je veux revoir la joie et la paix en mon cœur.
La muse, cette fois, fut tendre à ma supplique
Et j’ai vu dans la nuit son immortel flambeau ;
Je me rappelle encor son accueil sympathique,
Ma mémoire à plaisir s’en refait le tableau.
Soit que je chante ou que je pleure, Poésie,
Tu viens à moi comme une sœur, comme une amie.
Mieux que ferait un luth aux accords languissants,
Pour mes pleurs, mes soupirs, tu trouves des accents.
Sans trêve, désormais, par toi seule inspirée,
Je cherche dans le beau, ce que mon âme veut.
Tu combles les désirs de ma vie ignorée,
Divine Poésie, ô toi qui montres Dieu.
Éva O. DOYLE, Le livre d’une mère, 1939.