Le dernier bruit
Spargens sonum
Per sepulcra regionum.
Oh ! c’est un bruit sinistre, épouvantable, affreux
Et le plus effrayant peut-être sous les cieux !
Et qu’est-ce cependant ? Rien qu’un peu de poussière
Qui roule et fait frémir les planches d’une bière !...
Nous avons beau semer des roses sous nos pas
Et tourner notre esprit loin des maux d’ici-bas
Pour n’en point ressentir la funeste amertume,
Comme en puisant au fleuve on écarte l’écume ;
Nous avons beau chercher la gloire qui s’enfuit,
Comme l’ombre le jour et l’étoile la nuit,
Couronner notre front de la seule couronne
Que Dieu demande à tous et que la vertu donne,
Être riche, être pauvre, être grand ou petit,
Il nous faut en passant faire entendre ce bruit,
Ce gémissement sourd de l’argile qui tombe
Des pieds du fossoyeur dans le fond de la tombe,
Suprême écho de l’homme à la terre jeté,
Lugubre voix du temps et de l’éternité !
Abîme ! éternité ! profondeur insondable
Qui gronde sous nos pas en s’ouvrant dans le sable,
Comme l’âpre simoun aux confins des déserts,
Comme l’orage noir sur les vagues des mers !
Pourquoi l’homme entendant mugir ta grande voix
Semble-t-il mépriser les arrêts de tes lois ?
Insensé ! son esprit se nourrit de chimère ;
Il s’aveugle, il s’égare, il se perd ! La lumière
Sinistre qui lui vient encore dans sa nuit,
Bien loin de l’éclairer, trop souvent l’éblouit !
Ainsi les feux errants qu’on voit dans les ténèbres
Laissent l’ombre plus noire et les champs plus funèbres
Et n’apportent avec leur blafarde lueur
Rien qu’un peu de fumée et qu’un peu de stupeur !
Oh ! que l’homme est petit et qu’il est misérable
Quand, oubliant la fin de ce jour périssable
Qu’il passe sur la terre ainsi qu’un étranger,
Il le vit sans prévoir le but, et sans songer
Que le vent de la mort l’emporte sur son aile
Vers une autre demeure immuable, éternelle,
Et que le lendemain éclairera ses yeux
Des flammes de l’abîme ou des splendeurs des cieux !
Seigneur ! nous adorons vos jugements terribles
Et, ne comprenant rien aux choses invisibles
Dont vous vous réservez la cause et le secret,
Nous voyons seulement d’un regard stupéfait
Comment vous moissonnez les hommes sur la terre.
Prenant l’enfant joyeux aux bras du centenaire,
Comme on cueille une fleur sur l’arbre des forêts,
Vous laissez le vieillard se sécher de regrets,
Et vous faites le vide au sein de sa demeure
Avant de le connaître et de frapper son heure !
Malheureux ! il a vu sa génération
Membre à membre sortir de sa triste maison,
Il les a tous conduits à leur dernier asile
Et couvert leurs cercueils de larmes et d’argile !
Maintenant, solitaire au milieu de ses champs,
Il regarde les fleurs et les oiseaux charmants,
Symboles de bonheur, emblèmes de jeunesse,
De parfums et d’amour caresser sa vieillesse ;
Et quand son pied tardif, dans le gazon épais,
Éveille un nid caché dont il trouble la paix,
Il admire, il s’éloigne et, seul dans sa demeure,
Il songe à ses enfants, baisse les yeux et pleure !
Il pleure, il se lamente et trouve que ses jours
Le conduisent trop loin dans leur pénible cours :
Il semble avec raison se plaindre de la vie
Et voir tous les tombeaux avec un œil d’envie ;
Mais, tandis qu’il aspire au repos du cercueil,
Il n’entend pas la mort terrible sur le seuil
Se glisser jusqu’à lui dans l’ombre, et de son glaive,
Comme un voleur de nuit, le frapper dans son rêve !
Ainsi l’homme, grand Dieu, s’abuse et n’apprend pas
À préparer son cœur pour l’heure du trépas.
S’il écoutait du moins cette voix sépulcrale,
Ce retentissement de la tombe fatale,
Ce bruit qui l’avertit, tandis qu’il en est temps,
Qu’il ne fait que passer au milieu des vivants,
Et que déjà les vers ont faim de son cadavre !...
Inutile leçon ! aveuglement qui navre !
L’homme au cœur endurci l’entend, y pense peu
Et tombe criminel entre les mains de Dieu !
Arthur DRUMAUX.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.