Souvenir de Noël
Pour les petits enfants du village de Botassart.
À ma marraine.
Enfants, quand bien des jours auront grandi votre âge,
Lorsque vous, qui partez, arriverez au port,
Quand sur vos jeunes fronts aura passé l’orage,
Quand vous serez bien vieux et que je serai mort ;
Lorsque la douce paix dont votre âme rayonne,
Hélas ! s’obscurcira comme un miroir terni,
Et que le temps jaloux, qui sème et qui moissonne,
Lentement, jour à jour, vous aura tout ravi ;
Lorsque vous n’aurez plus, enfants, vos tendres mères
Que dans le souvenir et sous le vert gazon,
Et que vous aurez vu les cierges funéraires
Éclairer trop souvent la mort dans la maison ;
Lorsque vous n’aurez plus, ô fraîches têtes blondes
Que j’admirais hier à l’autel du Seigneur,
Sur ce front si joyeux, que des rides profondes,
I)ans ce cœur innocent, que la sombre douleur ;
Lorsque l’humble foyer dont vous êtes la joie,
De vos cris, de vos chants, ne retentira plus,
Et que d’autres alors entreront dans la voie,
Bercés sur vos genoux, ô mes petits élus !
Lorsque enfin tout flétris de travail et de peine,
Après avoir vidé la coupe de nos maux,
Après avoir vécu toute la vie humaine
Et bien souvent pleuré dans le champ des tombeaux ;
Vous songerez, enfants, le soir, l’âme rêveuse,
À tous ces jours lointains de joie ou de regrets,
N’est-ce pas, ô vieillards ! – pardon, troupe joyeuse –
À la fête d’hier, enfants, vous songerez ?
Et si jamais alors la foi, flambeau des âmes,
Qui nous conduit au ciel sur les pas de Jésus,
Dans vos cœurs refroidis ne jetait plus de flammes,
Si vous étiez méchants, si vous étiez perdus ;
Eh bien, je vous le dis, j’en ai la confiance,
Pensant à ce jour-là, doux et grand souvenir,
Vous sentirez en vous renaître l’espérance,
Et la foi pour chanter, et l’amour pour bénir !
Arthur DRUMAUX.
Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi
par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,
professeur à l’Université de Liège, 1874.