La religion du laïque
Tels les rais empruntés de la lune et des astres
Aux yeux du voyageur fatigué, seul, errant,
Telle est pour l’âme la Raison ; et, comme au ciel
Ces feux mouvants ne font qu’en révéler la voûte,
Ne nous éclairent point, la lueur vacillante
De la Raison nous fut prêtée, non pour guider
Nos pas douteux, mais nous conduire au jour d’en haut.
Et, comme ces flambeaux nocturnes disparaissent
Quand le clair roi du jour gravit notre hémisphère,
Ainsi pâlit notre Raison devant la Foi,
Et meurt, et se dissout en son éclat céleste.
Peu, munis d’une lampe meilleure, ont été
De cause en cause au fond secret de la Nature,
Et trouvé qu’il doit être un principe premier ;
Mais ce qu’est, ou qui est, ce Moi de l’Univers,
Soit qu’une sorte d’âme entoure notre sphère,
Incréée, immobile, et créant, mouvant tout,
Ou que des bonds croisés d’atomes variés
Une forme ait jailli – noble effet du hasard ;
Ou soit que ce grand Tout ait toujours existé,
Aristote n’en a lui-même rien pu voir,
Et, s’il faut supposer, Épicure le vaut.
À l’aveugle ils cherchaient aussi la vie future,
Et tranchaient de la Providence et du Destin.
Mais leurs efforts pouvaient moins encor découvrir
Ce qui le plus importe au bien de notre espèce ;
Car le bonheur jamais ne put être trouvé,
Mais à leurs yeux s’évanouissait comme un mirage.
L’un faisait du Contentement le bien unique ;
Ce bien, chaque accident menu le détruisait.
D’autres, moins fous, donnaient à la Vertu leur peine,
Terrain couvert de ronce, ou du moins infertile ;
D’aucuns gorgeaient de volupté leur âme avide,
Mais trouvèrent le puits profond, la corde courte,
Et que d’un seau troué le bonheur s’échappait.
Donc dans l’angoisse leurs pensers roulent en cercle,
Sans un centre solide auquel l’âme s’appuie.
Vaine entreprise, et qui s’achève au labyrinthe :
Comment le moins pourrait-il comprendre le plus ?
Ou la raison finie atteindre l’Infini ?
Qui pourrait sonder Dieu serait plus grand que lui.
John DRYDEN.
Traduit par Louis Cazamian.