Brume

 

 

Brume est un hameau suisse au milieu de l’Ardenne,

Dans la brume sept jours moyé chaque semaine :

Ce qui lui vaut son nom. Du reste, il est charmant

Pour le site, les mœurs et les sauvageries ;

Plein de ce bon parfum qui sort des vacheries,

Et peuplé de gros bœufs presque exclusivement.

 

Car, sur les hauts plateaux entourant le village,

Le brouillard entretient un excellent pacage,

Où, des vallons voisins, les gros bœufs envoyés

Broutent pendant l’été les gazons pleins de sève.

L’endroit s’enorgueillit d’un clocher, qui s’élève

À peine à la hauteur d’un groupe de noyers.

 

Quel clocher et quel temple ! À coup sûr, les étables

Des gros bœufs m’ont semblé beaucoup plus confortables.

Un chaume à jour, tremblant sur quatre murs goutteux ;

Trois semblants de vitraux, un détritus de porte ;

Un autel, que sans doute un miracle supporte ;

Trois affreux saints, boitant sur trois socles boiteux :

 

Voilà tout. Néanmoins, d’un cœur ému j’en cause.

Comme nous passions là, tout humectés, à cause

De la brume, et contents de nous asseoir un peu

Sous le vaste appentis d’une grande chaumine, –

Un petit marguillier de curieuse mine

Vint ouvrir près de nous la maison du bon Dieu.

 

Il était, à la fois, le sonneur, le concierge,

L’enfant de chœur du temple et l’allumeur de cierge :

Mais, avant tout, bouvier bien plus que sacristain.

Ayant laissé ses bœufs à l’auge la plus proche,

Il fit trembler la tour sous les sons de la cloche,

Et le doux Angélus s’épandit au lointain.

 

Aussitôt des chalets les portes s’ébranlèrent ;

Femmes, enfants, vieillards, au seuil s’agenouillèrent :

Ce spectacle était grand dans sa simplicité.

Je n’ai jamais senti dans une basilique

Ce qu’alors j’éprouvai près du temple rustique,

Gardien de la foi que pleure la cité.

 

C’est dans le dénûment que sa loi nous enseigne,

C’est dans les pauvres murs que Dieu descend et règne :

Il méprise, ô cités, l’orgueil de vos autels.

L’éternel et vrai Dieu, c’est le Dieu des chaumières.

C’est le Dieu que j’adore au sein de ces bruyères.

Et que je sens planer sur ces monts solennels.

 

Et, tant que retentit cette cloche touchante,

Nous aussi, chapeau bas, la tête pénitente,

Nous eûmes dans notre âme une vertu de plus.

Incrédule ou croyant, de toutes les manières

On peut offrir à Dieu son cœur et ses prières :

Désormais je prîrai quand tinte l’Angélus.

 

 

 

Eugène DUBOIS.

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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