L’heure trouble

 

 

En entrant dans la vie, il est une heure trouble

Où l’homme, se sentant une nature double,

Devant les deux chemins qui s’ouvrent devant lui,

Hésite, et réfléchit longtemps avec ennui.

 

Les uns, se nourrissant de la ferme promesse

D’un avenir meilleur pour qui fut sans faiblesse,

Suivent résolument le sentier de la foi.

Leur unique croyance est l’efficace loi ;

Et leur tâche en ce monde est facile et rigide.

 

Les autres, méprisant le secours d’un tel guide,

Évitent ce chemin. D’un regard valeureux

Embrassant l’inconnu qui s’étend devant eux,

Ils veulent se nourrir des fruits de la science

 

Et ne se confier qu’à leur expérience ;

Mais, comme du savoir il n’est un conquérant

Qui, parti tourmenté, ne revienne ignorant,

Ceux-là qui se sont crus du sang des Argonautes

Sont tous déçus dans leurs ambitions trop hautes.

 

Ma jeunesse, livrée au choix des lendemains,

A louvoyé sans cesse entre les deux chemins.

Tantôt je fus fervent, et la fièvre de croire

Aux coupes de la foi me contraignait à boire ;

Tantôt je fus cet homme, inquiet et troublé,

Dont le front orgueilleux est toujours désolé,

Que rien ne satisfait, et qui vit dans la lutte.

 

Mes jours sont un combat que termine une chute.

Je voudrais être archange et ne suis qu’Ariel ;

Mais, quand même tombé, je regarde le ciel.

 

 

 

Édouard DUCÔTÉ.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

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