Plaintes d’une jeune Israélite

sur la destruction de Jérusalem

 

 

      Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière ;

Soleil, à mes regards dérobe ta lumière ;

La fille de Sion, Jérusalem, hélas !

Sous un joug odieux courbe sa tête altière.

      Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière.

Comment du Chaldéen reçoit-elle des lois,

      La cité maîtresse du monde,

Qui naguère imposait le tribut à cent rois ?

Ô ma chère patrie ! ô douleur trop profonde !

Tout Israël captif est sans force et sans voix.

Comment a succombé l’orgueil de ta puissance ?

Comment tant de guerriers armés pour ta défense

Laissent-ils échapper le glaive de leur main ?

Deviez-vous embrasser une lâche espérance,

Coupables habitants des rives du Jourdain ?

Pourquoi de nos vengeurs enchaîner la vaillance ?

L’ennemi, redoutant leur généreux effort,

Criait : La paix ! la paix ! Il apporte la mort.

Toi, que Dieu remplissait de sa majesté sainte,

Temple dont Salomon avait tracé l’enceinte,

L’airain, le marbre, l’or qui couvraient tes parvis,

Par l’indigne vainqueur à mes yeux sont ravis ;

La pitié n’entre pas dans son âme cruelle,

      Il frappe et l’épouse et l’époux ;

Le débile vieillard, l’enfant à la mamelle,

Le lévite lui-même expirent sous ses coups.

Déplorable héritier du plus illustre trône,

      L’infortuné Sédécias,

      Conduit esclave à Babylone,

Au fond d’un noir cachot va subir le trépas.

Nul ami n’entendra sa plainte et sa prière,

Nul ami n’aura soin de son heure dernière.

      Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière.

 

Voilà, voilà le fruit de tes iniquités,

Sion ! de l’Éternel ta bravas les paroles ;

Sur l’autel du vrai Dieu tu plaças des idoles ;

      Tu t’enivras de voluptés :

Ton châtiment est juste, et le Dieu des batailles

Pour l’exemple du monde a brisé tes remparts,

      Tes ennemis de toutes parts

      Accourent à tes funérailles.

Sion trahit son Dieu, Dieu punit les ingrats.

      Soleil, cache-moi ta lumière :

      Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière.

 

Ô coteau d’Engaddi, doux sommet du Carmel,

Qui versez à grands flots le vin, l’huile et le miel,

Je ne reverrai plus vos ombrages propices !

La main de l’étranger cueillera vos moissons ;

      Le sang rougira ces buissons

Où les roses d’Éden entrouvraient leurs calices.

Lieux sacrés, loin de vous on nous entraîne, hélas !

      Soleil, cache-moi ta lumière :

      Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière.

 

Cependant Dieu l’a dit (il n’a jamais trompé) :

Judas qu’en ce moment sa colère humilie,

Des fers de son vainqueur quelque jour échappé,

Verra de Salomon la cité rétablie.

Mais sous un autre ciel on nous entraîne, hélas !

      Soleil, cache-moi ta lumière :

Ô mes pleurs, ne tarissez pas,

      Mouillez jour et nuit ma paupière.

 

 

 

Mme DUFRESNOY.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

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