La fauvette

 

 

Ce matin, assez tôt, contre mon habitude,

J’envisageais d’un œil plein de sollicitude

                        Mon modeste jardin.

Il me parut bien froid ! Ses murailles humides,

Ses rosiers dépouillés, ses plates-bandes vides,

Tout annonçait l’hiver, l’hiver rude et prochain.

 

C’est l’usage : malade, on songe aux doux bien-êtres.

L’hiver, c’est à l’été, c’est aux splendeurs champêtres

                        Qu’on se plaît à rêver.

Je rêvais donc : ciels bleus, chauds soleils, nuits fécondes,

Plaines, coteaux fleuris, perspectives profondes

Surgirent, tour à tour, comme pour m’éprouver.

 

L’épreuve me ravit : j’en jouis sans mesure.

Je revis, en esprit, tout ce que la nature,

Dans ses jours lumineux d’ineffables faveurs,

Ménage aux sens émus, au cœur ouvert, à l’âme,

De foyers infinis de caressante flamme,

De parfums vagabonds, d’agaçantes saveurs.

 

Je revis les sentiers sillonnant la prairie

D’où, le front ceint d’épis et de bluets, Marie

M’entraînait pour mieux voir ce qu’enviaient ses yeux :

Les blés verts ondoyant sous le soleil propice

Et tous ces champs bordés de fleurs dont le calice

Offre à l’abeille active un butin précieux.

 

Comme autrefois, j’allai, pieds nus, la face rose,

Errer, bondir partout, par nos monts et nos bois,

Souriant au vallon qu’une fontaine arrose

Ou frissonnant aux bruits qui, saisissante chose,

S’échappaient des massifs en fanfares de voix,

Folles comme un franc rire et sinistres parfois.

 

Ou bien mes yeux suivaient quelque orageux nuage,

Que frangent du soleil les éclatants joyaux,

Alors que du printemps la fugitive image

Fait tressaillir la vierge, émotion, présage

Dont les fleurs près d’éclore et maints groupes d’oiseaux

Trahissent le secret dans l’herbe ou les rameaux !...

 

Fraîches illusions, ingénieux mensonges,

Pourquoi ne durez-vous que l’espace des songes !

Vous êtes du bonheur une ombre qui grandit

Aux deux extrémités de l’humaine carrière ;

Et pourtant vous planez sur l’existence entière,

Mirages inconstants qu’à tout âge on bénit !

 

Je goûtais à plein cœur vos charmes éphémères,

Ô douces visions, lueurs folles, chimères

De l’heure étincelant dans nos longs jours voilés ;

Mais la réalité, se dressant froide et nue,

De sa voix châtiante (elle m’est bien connue !)

Railla de mes esprits les écarts insensés...

 

Confus, sous cette voix j’allais courber la tête,

Lorsque je crus entendre un joyeux chant de fête.

Ah ! ma raison alors sortit de son sommeil,

Je devins attentif, et je vis, ô surprise !

Un oiseau piétinant sur une branche grise

Qu’argentait faiblement un reflet de soleil.

 

C’était un hôte aimé des campagnes tranquilles,

Des buissons étoilés et des fines charmilles,

Qui, loin de son milieu, saluait, comme moi,

Quelques pâles rayons tombés de l’astre-roi ;

C’était une Fauvette, intrépide étourdie,

Qui, bravant la saison, semait sa mélodie

Sous un ciel inclément constellé de points noirs,

Où domine, entre tous, l’écho des désespoirs.

 

              Ô Fauvette vaillante et douce !

Tes accents ne sont point, à mes yeux, de vains bruits :

              L’oiseau, comme le brin de mousse,

              Obéit au souffle qui pousse

L’arbre à se couronner de feuillage et de fruits,

              Le ciel à tamiser ses flammes,

La terre à prodiguer les trésors de son sein,

              L’amour à rehausser les âmes,

              La science à rompre les trames

Qui voilent du vrai Dieu le paternel dessein.

 

N’est-ce pas que ton chant fut un chant d’espérance,

                        Fauvette au gosier d’or ?

N’est-ce pas qu’oubliant l’exil et sa souffrance

Dans la foi tu puisas un invincible essor ?

 

                        La Foi ! mais c’est la vie

                        De l’âme inassouvie,

                        Le bouclier du cœur,

                        La force, – tout l’atteste, –

                        De l’instinct qui proteste

                        Contre le mal vainqueur.

 

                        C’est la perle sublime

                        Qui, du fond de l’abîme,

                        Séduit par sa clarté

                        Le chercheur intrépide

                        Dont le regard avide,

                        Poursuit la vérité !

                        

                        C’est le phare, l’étoile

                        Des pensers qui font voile

                        – Quand leur élan s’accroît

                        Vers vos hauteurs sereines,

                        Ô sources souveraines

                        De justice et de droit !

 

C’est l’espoir fait d’amour : c’est le besoin immense

De louer la sagesse et la toute-puissance

Du suprême Ouvrier qui participe à tout ;

De voir dans l’univers, pyramide infinie,

Éclore de concert les germes d’harmonie

Que la bonté divine a répandus partout !...

 

Mais cette foi vivante, où donc rayonne-t-elle ?

Qui la confesse, hélas ! sous l’étreinte mortelle

Des fléaux assaillant le monde désuni ?...

Tu le sais, toi, Fauvette : à toute phase sombre

Succède la lumière éclatante et sans ombre

Qui féconde la haie où l’oiseau fait son nid.

 

 

M.-J. DULIEU.

 

Paru dans la Revue trimestrielle en 1856.

 

 

 

 

 

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