Souvenir
Lorsque viendra le jour où pour une autre terre
Il te faudra quitter la terre où je t’aimais,
Ne me dis pas alors : « Sois heureux solitaire :
Nous ne nous reverrons, ô mon frère, jamais. »
Sous d’autres deux ton cœur peut demeurer le même.
J’aurai le souvenir, chère, de ta douceur.
Sous d’autres cieux tu peux te répéter : « Il m’aime »,
Et je pourrai compter sur ton amour, ma sœur.
Aperçois-tu, là-bas, cette étoile lointaine,
Dont la lueur est pâle et le regard très doux ?
Sa clarté faible encor, vacillante, incertaine,
Semble avec amitié se diriger vers nous.
Ô ma sœur, chaque soir, à ta fenêtre assise,
Ainsi que Juliette et que Desdemona,
Regarde aux cieux, et vois cette étoile indécise,
Et que, pour réunir nos cœurs, Dieu nous donna.
J’irai contempler l’astre et m’isoler du monde,
À la même heure où, toi, tu regardes aux cieux,
Et, dans sa lueur pâle et sa clarté profonde,
Je croirai découvrir la douceur de tes yeux.
Et, regardant le ciel sans nuage et sans voiles,
Tu songeras à moi, le poète, le fou,
Qui, vivant loin de toi, mais t’aimant, n’importe où,
Vais, la nuit, récitant des strophes aux étoiles.
André DUMAS.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.