Les croix
Jadis, sur notre sol de France,
L’on voyait s’élever des croix ;
À l’homme, l’arbre d’espérance
Semblait dire : « Aime, Espère et Crois... »
Je les aimais les vieux calvaires,
Qui se dressaient aux carrefours ;
Les croix plusieurs fois centenaires
Qui bénissaient les grands labours.
À l’être courbé vers la terre,
Au passant, au riche orgueilleux,
Elles inspiraient la prière,
Elles montraient un coin des cieux !...
Sans bruit de mots, la voix divine
Murmurait un enseignement ;
Et dans les âmes, sa doctrine
S’enracinait profondément.
Elle disait, la voix bénie,
À l’humble, au pauvre, à l’ouvrier ;
« Tu peines pour gagner ta vie ?...
« Je fus moi-même un charpentier...
« Tu gémis... le labeur t’accable ?...
« J’ai supporté le poids du jour !...
« Ton sort te semble misérable ?...
« J’ai choisi la croix, par amour !...
« Tu te plains de tes mains calleuses ?...
« Et les miennes ont de grands trous !...
« Tes glèbes aux pieds sont rugueuses ?...
« Et mes pieds sont percés de clous !... »
Elle disait, la voix céleste,
À ceux qu’étreignait la douleur :
« Toi, que la souffrance moleste,
« Sais-tu combien souffrit mon Cœur ?... »
Puis la voix ajoutait encore :
« Donne au pauvre un peu de ton pain ;
« Donne-lui l’abri qu’il implore ;
« Un jour j’eus froid, un jour j’eus faim !...
« Pardonne à celui qui t’outrage...
« Ne rends pas le soufflet donné...
« À mes bourreaux ivres de rage,
« Au calvaire, j’ai pardonné... »
Alors ces cœurs simples et rudes,
Vivant dans un fruste milieu,
Ces ignorants de nos études
Savaient lire au livre de Dieu !...
Mais un jour, pour perdre les âmes
Qui répondaient bien à ta voix,
Il fut voté des lois infâmes,
Ordonnant d’abattre les croix !...
L’on abattit bien des calvaires
Qui se dressaient aux carrefours !...
Des croix plusieurs fois centenaires
Qui bénissaient les grands labours...
« Tes croyances n’étaient qu’un rêve »,
Redisait-on à l’artisan,
« Mais jouis donc !... la vie est brève...
« Mais jouis donc du temps présent ! »...
Et ce fut la vague démente ;
Ce fut la ruée au plaisir !...
Dieu laissait monter la tourmente ;
Il se réservait l’avenir...
Car un jour, Il permit la guerre...
Et dans nos champs, nos vals, nos bois,
Remplaçant celles de naguère,
Partout il s’éleva des croix...
Quand de Belfort jusqu’à Dixmude
J’ai vu le signe rédempteur,
Je songeais en ma solitude
« Tu nous punis, ô Créateur !...
« Tes desseins sont impénétrables ;
« Nul homme ne te brave en vain ;
« Que nous nous sentons misérables
« Quand, Seigneur, nous frappe ta main !... »
... Ce ne sont plus les vieux calvaires
Qui se dressent aux alentours...
Ces croix sont celles de nos frères...
Dieu se servit de leur concours ;
Pour que sur notre sol de France.
De nouveau s’élèvent des croix...
Pour que l’arbre de l’Espérance
Nous dise encore : « Espère et Crois... »
Marie DUMONCEL.
Paru dans L’Ange gardien en 1922.