Le tourment poétique
« Malgré moi, l’infini me tourmente. »
Alfred de MUSSET.
Pourquoi ne sont-ils pas, ces feuillets incolores,
Des écrins parfumés, lumineux et sonores
Où je déposerais mon rêve intérieur,
Les parfums, les rayons et les chants de mon cœur ?
Dons de Dieu, créateur, à l’homme, créature,
Brises d’encens, reflets, échos de la nature,
Vous rendez l’invisible à mon être présent,
Je le vois, semble-t-il, je l’écoute et le sens.
Pèlerin attiré par l’appel du mystère,
Je voudrais exercer l’auguste ministère
De ces martyrs, de ces voyants, de ces rêveurs,
Comblés par l’Éternel d’éclatantes faveurs,
Pour guider dans le Temps la caravane humaine
Que la matière enlise et que la foi ramène,
A la clarté de leurs flambeaux éblouissants,
Vers ces hauteurs où l’âme monte et Dieu descend.
Je voudrais que le mur opaque du sensible
Soit comme la verrière aux regards accessible
Où le spirituel dans l’image incarné
Révèle ses secrets à l’homme illuminé.
Je voudrais que mon vers comme l’oiseau s’envole
Et chante vers l’azur lointain, que ma parole
Possède l’art charmeur des airs mélodieux
Empruntés à la langue idéale des dieux,
Et que s’élève en moi la céleste patrie
Dans la plus belle et la plus sainte rêverie.
Je voudrais que le mot fût le parfum des fleurs
Qui grise les cerveaux et fait battre les cœurs,
Quand la sensation se perd dans la pensée,
Quand l’âme, loin du corps, semble s’être élancée
Comme un esprit du ciel, libre dans l’infini
D’où l’homme déloyal fut autrefois banni.
Oh! pouvoir recouvrer la lumière perdue !
Entendre encor la voix divine qui s’est tue !
Renaître avec un corps spiritualisé !
Mais voici les débris de mon rêve brisé.
Je me vois refuser tout ce que je réclame
Et j’endure toujours le martyre de l’âme.
Je voudrais, je voudrais... mais le souffle divin,
Le souffle créateur que je désire en vain
Ne veut pas de mes sens, ces tyrans qui m’oppriment,
Et s’abstient d’animer le limon de mes rimes.
Armand DUMONT.