Cantique de la Vierge Marie
Quand au somme mortel la Vierge eut clos les yeux,
Les Anges qui veilloyent autour de leur maistresse,
Eslevèrent son corps en la gloire des Cieux,
Et les Cieux furent pleins d’immortelle allégresse.
Les plus hauts Séraphins à son advènement
Voloient au devant d’elle et luy cédoient la place,
Se sentant tous ravis d’aise et d’estonnement
De pouvoir contempler la splendeur de sa face.
Dessus les Cieux des Cieux elle va paroissant,
Les flambeaux estoillez luy servent de couronne :
La Lune est sous ses pieds en forme de croissant,
Et comme un vestement le Soleil l’environne.
Elle est là-haut assise auprès du Roy des Roys,
Pour rendre à nos clameurs ses oreilles propices :
Et sans cesse l’adjure au sainct nom de la Croix,
De purger en son sang nos erreurs et nos vices.
Elle rend nos désirs par ses voeux exaucez
Et pour mieux impétrer ce dont elle le presse,
Remet devant ses yeux tous les actes passez
Qui le peuvent toucher de joye ou de tristesse.
Elle luy va monstrant pour fléchir sa rigueur,
Les mammelles qui tendre au berceau l’allaittèrent,
Dont le doux souvenir luy pénètre le coeur,
Et les flancs bien-heureux qui neuf mois le portèrent.
Elle lui ramentoit1 la douleur et l’ennuy,
Les sanglants desplaisirs et les gesnes terribles
Que durant ceste vie elle endura pour luy,
Quand il souffrit pour nous tant de peines horribles.
Comme en le voyant lors si rudement traicté,
Son coeur fut entamé d’une poignante espine,
Et puis comme à sa mort pleine de cruauté
Le glaive de douleur lui navra2 la poitrine.
Hélas ! de quels regrets et de quel déconfort
La Vierge en son esprit se sentit traversée,
Quand elle veid livrer son cher Fils à la mort,
Et de combien de cloux son âme fut percée !
Elle le void meurtrir en tant et tant d’endroits,
Souffrir mille tourments et mille violences,
Et puis comme un trophée, attacher sur la Croix
Toute notre injustice et toutes nos offenses.
Elle serroit la croix de ses bras précieux,
Regardant par pitié ses blessures cruelles,
Et respandoit autant de larmes de ses yeux,
Comme il versoit de sang de ses playes mortelles.
L’air, la mer et la terre en sentoient les effects,
Et de leurs accidents3 accompagnaient sa plainte
Les fondements du Ciel ployèrent sous leurs faix,
Et la terre trembla de frayeur et de crainte.
Le Soleil affligé prit un voile de dueil,
Les astres de la nuict en plein jour resplendirent :
Les ossements des morts quittèrent leur cercueil,
Et des durs monuments les pierres se fendirent4.
Âmes qui surpassez les rochers en durté,
Âmes que les plaisirs si vainement affollent,
Vous ne gémissez point de le voir tourmenté,
Et tous les Éléments à sa mort se désolent.
Les plus fermes esprits l’effroy les emporta
Voyant mourir celuy qui la mort espouvante,
Et des plus asseurez l’asseurance douta ;
Seule entre tous les Saincts la Vierge fut constante.
Pour toute la douleur qui son âme attaignit,
Pour tous les desplaisirs et les regrets funèbres,
Jamais dedans son coeur la foy ne s’estaignit
Mais demoura luisante au milieu des ténèbres.
C’est celle dont la foy dure éternellement,
C’est celle dont la foy n’eut jamais de pareille,
C’est celle dont la foy pour notre sauvement
Creut à la voix de l’Ange et conçeut par l’oreille.
C’est l’Astre lumineux qui jamais ne s’estaint,
Où comme en un miroir tout le Ciel se contemple ;
Le luisant tabernacle et le lieu pur et sainct
Où Dieu mesme a voulu se consacrer un Temple.
C’est le palais royal tout remply de clarté,
Plus pur et transparent que le Ciel qui l’enserre,
C’est le beau Paradis vers l’Orient planté5,
Les délices du Ciel et l’espoir de la terre.
C’est cette myrrhe et fleur et ce bausme odorant
Qui rend de sa senteur nos âmes consolées ;
C’est ce Jardin reclus6 souëfvement flairant7 :
C’est la Rose des champs et les Lys des vallées8 ;
C’est le rameau qui garde en tout temps sa couleur,
La branche de Jessé9, la tige pure et saincte,
Qui rapporte son fruict et ne perd point sa fleur,
Qui demeure pucelle et qui se void enceinte.
C’est l’Aube du matin qui produit le Soleil
Tout couvert de rayons et de flammes ardentes,
L’Astre des navigans, le Fare non-pareil
Qui la nuict leur esclaire au milieu des tourmentes.
Estoille de la mer, nostre seul réconfort,
Sauve-nous des rochers, du vent et du naufrage,
Aide-nous de tes voeux pour nous conduire au port,
Et nous monstre ton Fils sur le bord du rivage.
Recueilli dans Notre-Dame des Poètes,
Anthologie réunie et présentée par Joseph Barbier,
Robert Morel Éditeur.
1. Rappeler à la mémoire.
2. Blesser.
3. De leur agitation.
4. Matt., XXVII, 45-52.
5. Genèse, II, 8.
6. Cantique des cantiques, IV, 12.
7. Embaumant suavement.
8. Cantique des cantiques, II, 1.
9. Isaïe, XI, 1.