Souvenir
Ma muse a pris sa lyre, et veut pour vous, Madame,
Faire aussi quelques vers, vous parler d’une femme
Qui fut bien chère à votre cœur.
Elle était votre amie, et passa sur la terre
Comme l’herbe des champs, hélas, trop éphémère !
Pauvre amie elle était ma sœur.
Où sont ces jours heureux où nous étions près d’elle,
Courant dans la prairie ou cherchant dans les bois
Ces fleurs qu’elle aimait tant, à la tige si frêle,
Ou bien ces nids d’oiseaux, à la si douce voix ?
Ce bonheur était grand, hélas ! trop grand sans doute,
Il ne pouvait durer, le ciel en fut jaloux,
Et le cruel destin la frappa sur la route,
Quand l’avenir pour elle était riant et doux.
Pauvre enfant : elle était pour nous si généreuse,
Elle vous aimait tant ! vous, dont la voix rieuse
Venait lui dire doucement :
Louise, partons-nous, la soirée est bien douce,
Il fait bon dans les bois, le grillon sous la mousse,
Sans doute chante en ce moment.
Puis, bientôt nous partions, troupe folle et légère,
Rien ne nous attristait, tout nous paraissait beau,
Et le bonheur pour nous se montrait sur la terre,
Dans une fleur cueillie au bord d’un frais ruisseau.
Le vol d’un papillon, le chant d’une fauvette,
Nous mettait tous les trois dans le ravissement,
Et ma sœur, douce enfant, souvent restait muette
De joie auprès d’un nid balancé mollement.
Avez-vous souvenir de l’aimable bocage
Où la brise chantait le soir dans le feuillage
Où se cachait votre maison,
Et que ma sœur était souvent impatiente,
Quand je devais venir, qu’elle était dans l’attente,
En écoutant votre chanson.
Que de joie elle avait au bruit de la clochette
Que faisait retentir, en entrant tout joyeux,
Mon chien qui s’élançait vers ma sœur inquiète,
Enfant qui me grondait, le plaisir dans les yeux.
Mais tout cela n’est plus, nous n’avons plus cet ange
À la voix caressante, aux traits purs et si doux.
Elle a fui pour jamais cette terre et sa fange,
Où nous sommes restés tristes, la pleurant tous.
Il faut donc ainsi voir mourir tout ce qu’on aime !
Voir toujours sous nos pas le malheur au teint blême
Qui nous écrase sous sa main.
Hélas ! notre bonheur, c’est l’éclair dans l’orage,
C’est une fleur des prés, que brise dans sa rage,
La faucille sur son chemin.
Oui ! la vie est ainsi, nous rions quelques heures,
Courant dans le vallon, les fronts épanouis,
Et puis quand nous rentrons, au seuil de nos demeures,
Le malheur se dévoile à nos yeux éblouis...
Mais cependant pour vous il est encor, Madame,
Bien des heures de joie et de sérénité.
Vous avez une mère, aimable et douce femme,
Un époux, des enfants, anges pleins de beauté.
Moi, je suis seul au monde, et je vais sur la terre,
Conduit par le hasard et craignant l’avenir,
Comme un oiseau des nuits, je marche solitaire,
Et mon cœur attristé ne sait plus que gémir.
Le soir fuyant Paris, je vais sur une tombe
Où Louise repose, hélas ! et pour jamais ;
Il me semble la voir ; son âme de colombe
Voltige autour de moi dans les sombres cyprès.
Tout le bonheur passé, devant moi se retrace,
Mon oreille charmée entend la douce voix
De ma sœur qui me dit : Frère ! avec cette grâce
Qu’elle avait près de vous dans ces jours d’autrefois.
Puis me parlant de vous, son âme gémissante,
Qui me semble une fleur s’élevant des tombeaux,
Soupire quelques mots de douceur enivrante,
Comme l’hymne du soir que chantent les roseaux.
Dans le ciel elle prie, et le Seigneur, sans doute,
Écoutera sa voix qu’elle élève pour vous,
Afin que le bonheur vienne sur votre route,
Et jette quelquefois des fleurs sur vos genoux.
DUPUIS-COLSON.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.