Méditation

 

 

                      J’attends le jour sans fin de l’immortalité.

                                                              (LAMARTINE.)

 

                                           À Monsieur Paul Ferrand.

 

                                             I

 

Oui, la vie est un leurre et l’homme n’est qu’une ombre.

Il se débat en vain, bientôt vient l’heure sombre

Où, devant tout quitter pour la nuit du tombeau,

Le trépas le saisit et souffle son flambeau.

À quoi sert la richesse à ce moment suprême

Où tout nous abandonne, où tout ce que l’on aime

S’évanouit ainsi que la brume au soleil,

Et que devient la gloire en ce profond sommeil ?

Répondez, potentats qui, durant votre vie

Jouissiez des honneurs que le vulgaire envie,

Empereurs, rois puissants, monarques absolus,

Qu’est-ce que les grandeurs lorsque vous n’êtes plus ?

Une fumée, une ombre, un feu de paille ! En somme,

Rien n’est moins enviable et moins digne de l’homme.

Or, nous n’ignorons pas que viendra le moment

Où nous disparaîtrons dans cet effondrement

Tragique qu’est la mort, et que, quoi que l’on fasse,

L’horrible sphynx est là qui nous regarde en face,

Qui convoite sa proie et, sans nous avertir,

Vient soudain nous crier qu’il est temps de partir.

Nous le savons pourtant que, dans le précipice,

Tout s’abîme avec nous, ainsi qu’un édifice

Qui, battu par le flot ou les vents furieux,

Oscille et tout à coup s’écroule sous nos yeux.

Hélas ! c’est vainement et, dans notre folie,

Quoi que l’on puisse dire et quoi que l’on publie,

Rien ne peut nous changer et les hommes sont tels

Qu’il semblerait vraiment qu’ils fussent immortels.

Mais nous devons mourir et c’est là le problème

Devant lequel chacun doit courber son front blême,

C’est là vraiment le but, le dénoûment certain,

Et nul de nous ne peut conjurer ce destin.

 

Ô vous, doctes savants, vous à qui la nature

Dévoile ses secrets ; pour qui la créature

N’est plus, en résumé, qu’une combinaison

S’imposant d’elle-même à l’humaine raison,

Dont le temps, le hasard et des causes sans nombre

Sont les seuls artisans ; vous pour qui tout est sombre,

Qui voyez les soleils, les mondes spacieux,

Les sphères graviter en ordre dans les cieux

Sans en être éblouis et sans courber vos têtes

Devant l’Être incréé qui commande aux tempêtes,

Dites-moi, quand enfin parvenus jusqu’au seuil

Du tombeau, quand surtout dépouillant tout orgueil

Vous sentez de la mort la glaciale étreinte,

Ne redoutez-vous pas, regardez-vous sans crainte

Cet inconnu terrible et, sans anxiété,

Voyez-vous flamboyer ce mot : Éternité !

Oh ! ne le niez pas : je ne saurais vous croire !

Car qui ne voit, au sein de cette nuit si noire,

Comme un phare brillant d’une vive clarté,

Le jour resplendissant de l’immortalité ?

Oui, certes, notre corps, fait d’argile grossière,

N’est plus qu’une dépouille, une infime poussière

Dès que s’est retiré de lui le pur rayon

Que nous appelons âme ou de tout autre nom,

Mais il ne s’ensuit pas que dans le même abîme

Doive sombrer aussi cette âme qui l’anime.

 

Parce que tes regards, ainsi que ta raison,

Ne peuvent embrasser qu’un étroit horizon ;

Que des siècles d’efforts pour creuser la science

Ne t’ont point démontré, prouvé ton impuissance ;

Parce que tu ne sais ce que peut devenir

L’âme au sortir du corps ; parce que l’avenir

Se dresse devant toi muet, indéchiffrable,

Comme au seuil du désert se dresse dans le sable

Le monstre de granit, sombre et silencieux,

Dont l’œil semble sans cesse interroger les cieux,

Homme orgueilleux et vain, tu t’es dit : « La nature

« Donne seule la vie à toute créature

« Et seule la reprend, et qu’on le veuille ou non,

« Dieu n’est pas, Dieu n’est rien, le néant est son nom.

« Quel besoin avons-nous d’admettre un tel mystère ?

« Lorsque notre cadavre est couché dans la terre,

« Tout en nous a péri, sans qu’il en reste rien,

« Qu’on soit mahométan, indou, juif ou chrétien.

« Un cerveau faible, seul, peut croire le contraire,

« Mais ce dogme enfantin ne saurait satisfaire

« Les vigoureux esprits du penseur, du savant,

« Qui n’y peuvent trouver qu’un rêve décevant,

« Et dont le froid scalpel disséquant la matière

« A fait depuis longtemps sur ce point la lumière. »

 

Comment ! la brute et moi n’aurions qu’un même sort,

Et le néant serait le seul but de la mort !

Non, non, je ne veux point d’une telle croyance

Dont s’émeut à bon droit ma faible intelligence.

Quoi, cet être à la fois si petit et si grand

Qui, jadis désarmé, de toutes parts errant,

Traînait péniblement ses pas sur cette terre,

Et soumit à sa loi les éléments en guerre,

Dompta l’onde et le feu, les fauves des forêts ;

Cet être qui pouvait disparaître à jamais

Et sortit néanmoins vainqueur de cette lutte,

Et devint ce qu’il est ; l’homme, enfin, dont la chute

Hâterait le retour du chaos, de la nuit,

Pourrait par le trépas être à jamais détruit

Sans qu’il en restât rien, rien qu’un peu de poussière

Et des débris épars au sein de la matière ?

Ah ! répondez pour moi, vous à qui j’ai recours ;

Venez nous démontrer, mieux que tous les discours,

Qu’il est dans l’univers des faits nombreux, des choses

Dont l’homme est impuissant à s’expliquer les causes.

Par quel secret travail, dans le sommeil plongés,

De larves fûtes-vous en papillons changés,

Insectes qui, l’hiver, en vos sombres demeures

Restez, insouciants de la marche des heures,

Et, le printemps venu, de vos cocons soyeux,

Au grand et clair soleil vous élancez joyeux ?

Je constate l’effet, mais la cause m’échappe,

Et mon esprit, qu’un tel prodige étonne et frappe,

Plein d’admiration pour son puissant auteur,

Affermit sa croyance en un Dieu créateur

Qui, s’il peut à son gré modifier un être

Après l’avoir créé, peut le faire renaître,

Ou, s’il livre le corps à la corruption,

De la mort peut sauver l’âme, émanation

Du principe divin, l’âme, cette étincelle

D’un foyer d’où la vie incessamment ruisselle,

Et qui, participant de la divinité,

Comme elle doit jouir de l’immortalité.

 

 

                                             II

 

              Volages enfants de l’espace

              Qui, dépouillant les vils haillons

              De quelque chenille vorace,

              En sortez brillants papillons ;

 

              Vous qui vous traîniez sur la terre

              Ou dans la fange des ruisseaux,

              Et qu’on voit ensuite, ô mystère !

              Voler ainsi que les oiseaux ;

 

              De qui les formes gracieuses,

              Non moins que l’éclat des couleurs

              Et des teintes harmonieuses,

              Font de vous de vivantes fleurs ;

 

              Papillons, vous êtes l’emblème

              De ce que nous promet le sort,

              Et donnez la clé du problème

              Si redoutable de la mort.

 

              Car, n’est-ce point là vraiment chose

              Bien digne d’admiration

              Qu’une telle métamorphose,

              Que cette transformation ?

 

              Et lorsque la grande nature,

              Si féconde en faits merveilleux,

              Dans une infime créature

              Offre un tel exemple à nos yeux,

 

              Pourquoi ne point vouloir admettre

              Ce que nous ne comprenons pas ?

              Pourquoi prétendre que notre être

              S’anéantit par le trépas,

 

              Que rien ne saurait nous survivre

              Dès que nous venons d’expirer,

              Et que la mort qui nous délivre

              Doit aussi nous désespérer ?

 

              Ah ! sans doute, c’est un mystère

              Que nul ne peut approfondir,

              Et, gardant son secret, la terre

              Ne cesse de nous engloutir.

 

              Pourtant l’invincible espérance

              Doit nous soutenir malgré tout ;

              Et si nous n’avons l’assurance

              De revivre dans le grand Tout,

 

              Si notre enveloppe mortelle

              Doit un jour se désagréger

              Sans que rien ne subsiste d’elle,

              Pas même en un corps étranger,

 

              Du moins notre âme incorruptible

              Ne saurait partager son sort,

              Quelque ténébreuse et terrible

              Que nous apparaisse la mort.

 

              En vain, en son positivisme,

              Concluant à l’affreux néant,

              Le triste matérialisme

              Me montre-t-il le trou béant,

 

              Le gouffre où tout s’écroule et tombe :

              Espoirs, bonheurs, rêves charmants,

              Et m’assure-t-il que la tombe

              Est oublieuse des serments,

 

              Qu’elle ne sait rien de nos peines,

              Qu’indifférente à nos douleurs,

              Nul écho des choses humaines

              Ne peut troubler ses profondeurs,

 

              Si je perds une tête chère,

              Des enfants tendrement aimés,

              Force m’est de rendre à la terre

              Les corps dont ils furent formés ;

 

              Je gémis sur mon infortune,

              Que voulut la fatalité,

              Et subis de la loi commune

              L’inexorable égalité.

 

              Mais dans la douleur qui m’accable

              La foi chrétienne me soutient,

              Car si la mort est implacable,

              La foi console le chrétien ;

 

              Elle lui laisse l’espérance

              – Si douce aux cœurs endoloris –

              Qu’en un monde exempt de souffrance

              Il reverra ses morts chéris,

 

              Le corps étant la chrysalide

              Dont l’âme se doit dégager

              Pour s’élancer, pure et splendide,

              Ainsi qu’un papillon léger,

 

              Vers la source de la lumière,

              Vers Dieu, son principe et son but,

              Après avoir à la matière

              Par la mort payé son tribut.

 

 

 

Auguste ECK.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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