Les deux compagnons
Deux vaillants compagnons, un jour,
Quittèrent la maison paternelle,
Pour parcourir allègrement le monde.
Un printemps lumineux à pleines mains
Épandait ses effluves, sonores et chantants.
L’âme gonflée d’espérance,
Dédaignant joies et peines du monde,
Ils partirent sur la route du rêve.
Tous les cœurs s’épanouissaient de gaîté
Au passage de ces riants compagnons.
Le premier trouva une douce compagne
Qui lui apporta biens et maison.
Bientôt, il berça dans ses bras un fils chéri.
Heureux et satisfait, de sa fenêtre
Il contempla ses prairies et ses champs.
Mais l’autre, au chant trompeur des sirènes,
Aux mille voix séduisantes
Montant des profondeurs, succomba.
Les flots perfides l’attirèrent dans le gouffre
Au charme de leurs chatoyantes mélodies.
Et lorsqu’au gouffre il s’éveilla,
Il se sentit l’âme lasse et vieille.
Sa barque avait péri dans les flots,
Un souffle glacé planait sur les eaux,
Et tout autour, un grand silence,
Pourtant, le printemps à la ronde
Épand, sonores et chantants, ses effluves.
Que d’aventure je trouve sur ma route
Des compagnons si téméraires,
Mes yeux se mouillent de larmes.
Dieu ! dans ta clémence, vers toi guide nos pas !
Joseph von EICHENDORFF, La poésie et la vie.
Traduit de l’allemand par Albert Spaeth.
Recueilli dans Eichendorff, Poésies,
préface et traduction
par Albert Spaeth, Aubier, 1953.