Sur la mort de mon enfant
1.
L’enfant gaîment jouait au soleil du printemps,
Elle avait tant de choses a voir,
Les prés qui resplendissent et les rivières qui cheminent...
Alors le soir se penchait sur les arbres
Et troublait toutes ces belles images...
Puis, tout autour la nature se tut.
Une douce musique monta de la vallée,
Si mélancolique qu’elle semblait étreindre le monde.
Soudain, les couleurs s’effacent, la terre pâlit.
L’enfant, tout étonnée, ne comprend plus.
Et en rêvant, elle se couche dans l’herbe, qui murmure
La fraîcheur des fleurs lui monte au cœur,
Toute souriante elle s’abandonne à une si douce douleur,
Et la terre, sa mère, si belle dans sa pâleur,
L’embrasse. Hélas ! l’enfant ne reviendra plus.
Tendrement, elle l’attire dans son sein
Et l’étend, doucement, mollement,
Dans sa tombe, sous la mousse et les fleurs.
« Et pourquoi me pleurez-vous, papa et maman ?
J’ai trouvé un bien plus beau jardin,
Si grand, si vaste, si merveilleux !
Mille fleurs d’or s’y épanouissent
Et de jolis petits enfants avec des ailes
S’y balancent et chantent.
Je les avais vus autrefois, aux jours de printemps,
Lorsqu’ils passaient par dessus monts et vaux,
Et que parfois ils m’appelaient, du haut de l’Azur,
Lorsque je dormais, là-bas, au jardin.
Et au milieu des fleurs et des lumières,
Notre Dame, la plus belle de toutes,
Presse un enfant radieux sur son cœur.
Je ne puis ni parler ni pleurer,
Mais chanter seulement et regarder encore,
Muette d’extase et de bonheur. »
2.
Quand pour la première fois
Je retournai au jardin,
Buissons et ruisselets gaîment
Se mirent à jaser dans le vallon.
D’un air taquin, les fleurs dans les prés
Me regardèrent à la dérobée.
Aussitôt, elles envoyèrent aux nouvelles
De jolis papillons.
Et le coucou même, dans les branches,
Vint prendre ses ébats.
Enfin, l’arbre rompit le silence :
« Pourquoi es-tu seul aujourd’hui ? »
Et comme je restai muet, il secoua
Étrangement sa sombre tête,
Et les oiseaux, les fleurs et les feuilles
Tout bas, entre eux, se disaient quelque chose.
Toutes les herbes se couvraient de pleurs,
Les sanglots des sources erraient
Dans le silence du soir,
Et je pleurais de toute mon âme.
3.
Pourquoi donc cette douleur
La terre qui me porte, n’est-elle pas,
Déjà, loin comme un rêve ?
Les forêts murmurent à peine
Sur les sombres sommets.
Advienne que pourra !
Pourquoi donc cette douleur ?
Patience ! bientôt viendra la paix.
4.
Oui, c’est cela qui me désespère :
Que la nuit jamais ne s’arrête,
Quand le monde, lassé de sa course,
Depuis longtemps déjà repose ;
Que les cloches qui tintent,
Et dans les bois, le vent léger,
Chaque nuit exhalent leurs plaintes
Au souvenir de mon enfant adorée ;
Que mon cœur n’ait pu se briser
Au dernier baiser sur son lit de mort,
Et qu’il me faille, comme un dément,
Dire ma détresse en confuses chansons.
5.
Je voulais que tu fusses heureuse ;
Dans le combat de la vie, je voulais être,
Entre les joies et les peines, ton guide fidèle
Et te conduire au ciel.
Mais tu as trouvé toute seule le chemin
Que ton père ne pouvait te montrer.
À l’appel de l’heure grave et sombre
Tu es parti sans moi, ange innocent !
Comme le frémissement d’ailes légères,
Au même moment, dans l’air immobile,
Par dessus le val et les abîmes
Passait une lointaine mélodie.
Et le matin était si radieux, si joyeux,
Et la mélodie si pressante, si persuasive !
Tout me disait : Laissez vos soucis
Et suivez-moi, si vous m’aimez !
6.
Souvent je t’emmenais en promenade
Dans la solitude de l’hiver.
La campagne était immobile –
Jours heureux et tranquilles !
Le printemps est venu, des alouettes
Chantent dans le ciel bleu.
Je pleure tout bas ; elles m’apportent
Une pensée de toi.
7.
Le monde continue son agitation,
Les hommes vont et viennent,
Comme si tu n’avais jamais vécu,
Et comme si rien ne s’était passé.
Que je voudrais retourner
Dans les bois et dans les prés !
Aux jours heureux comme aux jours sombres
La nature me reste fidèle.
Le rossignol lance sa complainte
Et ses sanglots langoureux et profonds.
Les fleurs brillent de larmes
Tout alentour.
Sur tous les sommets
Et dans les vallons fleuris
Et dans les cimes des bois tranquilles
Passe une douce et plaintive mélodie.
Mon cœur ne peut s’y tromper,
C’est toi, Seigneur, qui passes sur la plaine.
Tu sais, combien mon cœur
De douleur est déchiré.
8.
Au loin, l’horloge égrène ses coups
Dans la nuit noire.
La flamme de la lampe est lugubre.
Ton petit lit t’attend.
Seul le veut et sa plainte douloureuse
Rôdent encore autour de la maison.
Nous sommes seuls clans la chambre,
Attentifs aux bruits du dehors.
Il nous semblait qu’à tout instant
Doucement, tu allais frapper à la porte,
Que tu t’étais égarée seulement
Et que, bien lasse, tu allais revenir.
Nous sommes de pauvres fous.
C’est nous qui sommes égarés
Et perdus dans l’affreuse nuit.
Toi, depuis longtemps, as retrouvé ta demeure.
9.
Là-bas, dans l’ombre profonde,
Tu dors en paix.
Le bon Dieu, pour te couvrir,
T’a donné ses vertes prairies.
Les vieux saules
Se penchent sur ton lit,
Les oiseaux dans les branches
Te bercent de leur chant.
Et comme en rêves d’or,
La brise printanière
Passe doucement dans les cimes.
Bonne nuit, mon enfant chérie !
10.
Ma chère enfant, adieu !
Je n’ai pas pu te dire ce mot,
Lorsqu’ils t’ont portée vers la tombe,
Ma douleur fut trop grande...
À présent, couronnée de myrtes verts,
Toute souriante dans ta splendeur,
Tu me regardes du haut de ton royaume
Avec une douce compassion.
Les années viennent et passent,
Bientôt, je ne serai plus que cendres.
Demande pour moi à Dieu
De nous unir un jour.
Joseph von EICHENDORFF, Offrandes funèbres.
Traduit de l’allemand par Albert Spaeth.
Recueilli dans Eichendorff, Poésies,
préface et traduction
par Albert Spaeth, Aubier, 1953.