Nous Te louons...

 

 

Nous Te louons, Invisible Lumière !

Trop vive pour nos yeux mortels.

Très Haute, nous Te bénissons pour les plus modestes lumières :

La lumière de l’Orient, qui touche nos flèches au matin,

Et le rayon d’or qui décline, aux portes d’Occident, le soir ;

Le crépuscule sur la mare immobile, au glisser des chauves-souris ;

La clarté de la lune et le lait des étoiles ;

Et les yeux du hibou et l’éclair des phalènes,

Le ver luisant, flammèche d’un brin d’herbe.

Nous T’adorons, Invisible Lumière !

 

Merci pour les lumières allumées par nos mains !

Lampe d’autel, veilleuse du sanctuaire,

Signaux des orants de minuit,

Rais qui filtre à travers la vitre colorée

Et flaque miroitante sur la pierre polie,

Reflet sur le vernis du bois sculpté, tache au coin de la fresque.

Comme d’une profondeur marine, nos regards tournés vers le haut

Ne captent que lueurs brisées à travers l’eau mouvante

Nous voyons la lumière sans voir d’où elle vient.

Ô Lumière invisible, nous Te glorifions !

 

À notre rythme terrestre, nous nous lassons de la lumière.

Heureux quand prend fin le jour ; heureux quand prend fin le jeu.

L’extase est beaucoup trop de peine.

Enfants vite fatigués ! Enfants debout dans la nuit,

Tombant de sommeil à l’aube. Pour le travail, pour le loisir, long est le jour.

Distraction ou concentration engendrent saturation. Nous dormons, heureux de dormir,

Mus par les rythmes du sang, du jour, de la nuit, des saisons.

Il nous faut souffler la chandelle, l’éteindre, puis la rallumer ;

Et toujours baisser la flamme, et toujours la raviver.

 

Alors nous Te rendons grâce pour notre petite lumière striée d’ombre.

Nous Te rendons grâce, Toi qui nous as incités à bâtir, inventer, modeler, à la finesse de nos mains, à la justesse de nos yeux.
Et quand nous avons bâti un autel à l’Invisible Lumière, nous y mettons de petites flammes adaptées à nos yeux de chair.

Nous Te remercions de ce que l’obscurité elle-même nous fait souvenir de la lumière.

Ô Lumière Invisible, nous Te rendons grâce pour Ton immense gloire !

 

 

 

T. S. ELIOT, 1934.

 

Recueilli dans Les quatre saisons, prières pour chaque jour de l’année, t. IV : Automne,

textes recueillis et présentés par le Père François BOURDEAU, Desclée-Mame, 1976.

 

 

 

 

 

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